Musulman au sens plénier du mot, tidiane scrupuleusement pratiquant, père de famille modèle, chef religieux respecté, éducateur émérite, meneur d’hommes perspicace, entrepreneur averti, les qualificatifs ne manquent pas pour témoigner de la forte personnalité de ce digne fils du Sénégal.
Nous retiendrons de la mémoire de Serigne Mouhamed Ahmad, un homme qui aime Dieu, Son Prophète, le Pôle caché et qui porte un véritable souci de propager cet amour auprès des musulmans. Toute sa vie aura été un exercice de progression continue sur le chemin des vertus, de l’excellence, de l’éthique… Tout ceci fait qu’il a marqué de sa foi, de sa générosité, de sa tolérance, mais aussi de sa rigueur dans le travail, les musulmans, surtout les membres de sa famille dont l’assistance à leur endroit n’a jamais failli. Notre souvenir pointe aussi sa noblesse de caractère qui ne manquait de séduire ceux qui le connaissaient. Affable et doux dans son regard, lumineux et radieux dans son sourire, vaillant et engagé dans sa démarche, sain et angélique dans son corps, sincère et clairvoyant dans ses propos, ferme et rigoureux dans ses convictions, digne et fier dans ses actions, sobre et élégant dans son habillant, bref, tout de Imam Mouhamed Ahmad dégageait de l’élégance.
Digne héritier de Serigne Abass Sall, double homonyme du Messager d’Allah (PSL) et du Pôle caché, Seydina Ahmad Tidiane Cherif (RTA), Serigne Mouhamed Ahmad Tidiane Sall fut un marabout distingué de notre temps. Dans un Sénégal où la mort a le pouvoir de transformer tout défunt en un saint, lui a réussi à séduire, de son vivant, ses contemporains par ses hautes qualités. C’est parce qu’il s’était démarqué par son humilité débordante, sa personnalité affirmée, calme et pondérée, son autorité naturelle et son rayonnement spirituel issu de son amour viscéral de Dieu, mais aussi de ses deux homonymes.
Sans aucun doute, le sage de Kawsara fait partie de ces élus musulmans dont Dieu parle en ces termes : «Il est parmi les croyants, des hommes qui ont tenu loyalement leur engagement vis-à-vis de Dieu. Certains d’entre eux ont déjà accompli leur destin, d’autres attendent leur tour. Mais ils n’ont jamais rien changé à leur comportement. (S33/V23)». À regarder les actions musulmanes de Serigne Ahmad de près, on en déduit que la promotion d’un islam orthodoxe avec la meilleure réputation possible était l’une de ses principales missions terrestres. Celle-ci, il la menait avec une conscience aiguë des vertus de l’effort et de l’éducation islamique.
Mais, on ne peut pas parler du défunt marabout sans faire allusion à son attachement à la voie Tidjanya. Cette confrérie, l’homme à l’éternel chapeau conique s’en identifiait avec fierté. Mieux, il la considérait comme étant la source de délivrance des mondanités, le secret de sa paix intérieure. À ce titre, tous ceux qui ont eu la chance de le fréquenter ont certainement entendu ces mots de lui : «Lorsque je suis en séance de wasifa, je me libère de tous soucis». Cette sensation indescriptible de bien-être que lui procuraient les litanies tidianes n’est que la résultante de sa foi inébranlable en Dieu. «Quand on croit en Dieu, on est en sécurité», disait-il à ce sujet.
Toutes ces caractéristiques de notre regretté Imam lui ont été inculquées, durant son enfance bien vécue auprès de dignes parents et éducateurs. D’où l’importance de revenir sur le parcours exemplaire de Serigne Mouhamed Ahmad, lequel parcours, nous ayant été relatés par le défunt lui-même, avait fait l’objet d’un précédent article qu’il avait fortement apprécié.
Natif de Saint-Louis où est originaire sa mère Sokhna Ramatoulaye Diagne dont on ne dira jamais assez tout le mérite, Serigne Ahmed débarque à Louga en 1960. Ce, pour y apprendre le Coran auquel il était déjà initié par un marabout nommé Serigne Modou Cissé. Sous les auspices d’un Maure dépêché de Mauritanie, il mémorise le Livre saint en un temps record. Une mémorisation tellement rapide que Serigne Abass prit-il le soin de la vérifier. En se faisant accompagner durant ses déplacements, de son jeune fils, pour le tester sur sa supposée maitrise du Coran, à n’importe quel moment, sur n’importe quelle sourate, devant chaque verset. Le résultat de son test confirma la délibération du maître mauritanien. Qui connaît l’attachement viscéral de Serigne Abass aux «Paroles de Dieu» doit deviner qu’il ne pouvait ne pas réagir à cette joyeuse nouvelle. À l’honneur du jeune Mouhamed Ahmed, il lui offrit une fête à laquelle étaient présents tous les élèves du Daara. Serigne Ahmed confirma lui-même que cette cérémonie, ajoutée à la confiance que lui avait accordée son maitre maure -qui lui confiait les élèves en cas d’empêchement-, font partie des éléments qui ont travaillé son courage, favorisé son sens de la responsabilité et façonné sa personnalité.
Une fois le Coran par cœur, il s’initia aux livres de jurisprudence islamique par le biais de plusieurs professeurs dont les plus illustres sont Serigne Assane Gaye de Louga, Serigne Yankhoba Fall de Saint-Louis et Serigne Abass lui-même qui, satisfait du niveau de son élève, décida de l’envoyer apprendre la langue arabe en Égypte. À peine âgé de 17 ans, voilà que les portes de l’étranger lui furent ainsi ouvertes. Une fois au pays des Pharaons, il n’a rien fait de moins que de s’inscrire à la prestigieuse université Al Azhar où se forment, comme depuis toujours, les héritiers de nos marabouts.
SERIGNE ABASS : SON PERE ET AMI
Dans les études comme dans les autres fonctions qu’il occupera plus tard, Serigne Ahmed fit preuve de volonté inouïe de réussir, de rigueur et d’abnégation sans limites. D’ailleurs, cette fougue explique le Hajj (grand pèlerinage à La Mecque) qu’il réussit à accomplir à seulement 24 ans. En effet, tout commença durant l’été 1974. Alors qu’il honorait un emploi de vacances dans un restaurant de Frankfurt, en Allemagne, le futur imam de la zawiya Kawsara fut informé de la participation de son père au prochain pèlerinage. Voulant l’assister et faire du tarbiya (soumission parentale), l’étudiant se rendit aux Lieux saints de l’Islam. Il paya son billet à partir de la rémunération de son travail d’été dont les 2/3 étaient déjà envoyés à ses parents. Après avoir effectué ce cinquième pilier de l’Islam, le Cheikh au vitiligo mystique fit l’honneur d’accompagner son fils jusque dans sa chambre d’étudiant d’Égypte où il effectua la prière du crépuscule.
Revenant sur les études du jeune marabout, il faut rappeler qu’au bout de 10 ans, il fut nanti du Brevet secondaire, du Baccalauréat, de la Licence et la Maitrise en Droit islamique. Il va sans dire qu’à ce stade, le jeune étudiant pouvait prétendre à trouver un travail qui sied à sa formation.
LE MARABOUT DIPLOMATE
Ainsi en 1977, à l’issue d’un concours très sélectif auquel il postula, celui qui eut, très tôt, l’ingénieuse idée de se former dans la langue de Molière sera recruté au Ministère sénégalais des Affaires étrangères. Avec l’interprétariat comme première activité, il sera ensuite promu Conseiller culturel aux ambassades du Sénégal en Algérie et au Koweït. Sa fonction diplomatique cessa en 1989, année à laquelle il démissionna de la fonction publique sénégalaise en tant que membre de la hiérarchie A, pour se consacrer à ses activités personnelles. S’il a agi de la sorte, c’est parce qu’il a saisi le sens des propos de son père à qui il demandait conseil à propos de sa carrière professionnelle : «Le mieux pour toi serait que tu viennes au Sénégal t’occuper de tes affaires privées le matin, et de la mosquée le soir». Par conséquent, le marabout-diplomate entama une nouvelle vie. Laquelle vie sera désormais consubstantielle à la zawiya Kawsara qui surplombe la cité Sipres, précisément les deux voies de Liberté 6.
L’ENTREPRENEUR ECONOMIQUE ET RELIGIEUX
Après s’être retiré du Ministère des Affaires étrangères en 1989, Mouhamed Ahmed fonda, dans la même année, deux organisations qui, depuis leur création, font parler d’elles de plus en plus. Il s’agit de West African Trading Investment and Construction (WATIC) et du Rassemblement Islamique pour la Culture et la Paix (RICP). Si la première organisation est une entreprise privée dont le déchiffrement du sigle anglais indique son domaine d’intervention, la seconde est une ONG d’obédience religieuse qui s’assigne comme objectif principal, la promotion de la religion musulmane et l’entente entre les peuples. D’ailleurs, le RICP servira de base à l’édification de la Zawiya Kawsara sur son site actuel qui dépasse l’hectare, obtenu auprès des autorités de l’époque. Durant cette période, soit vingt-deux ans derrière nous, le quartier était vide, voire inhabité. La tâche d’y réaliser des projets n’était pas chose aisée, mais Serigne Ahmed Tidiane Sall n’était pas ce genre d’individu qui recule devant la difficulté. La détermination qu’on lui connait fit que le chantier de la mosquée fut entamé et vite achevé. Aujourd’hui, elle attrait toute la population environnante souhaitant vivre convenablement sa foi musulmane. La minutie observée dans les prières est des plus appréciée. De même que les beaux airs du khadara et du wasifa sont en passe d’être le protecteur-secret de la zone. Notons aussi que le marabout y organise, en même temps que la zawiya-mère de Louga, le Maouloud et la Laylatoul khadr (nuit de la destinée). En sa qualité d’homme ouvert et affranchi du conservatisme religieux, il avait préféré décentraliser ces deux grands événements islamiques afin de mieux étendre les tentacules de l’Islam et de la Tidjanya. Mais aussi de donner la possibilité à des milliers de musulmans de profiter du projet d’éducation islamique proposé par l’illustre Cheikh de Louga. Aussi, il avait initié depuis trois ans, la journée «Al Hamdoulillah» pour rendre grâce à Allah.
C’est ce fervent croyant, cet homme élégant et humaniste, ce missionnaire infatigable qui vient de nous quitter à l’âge de 65 ans. Soit 24 ans après son illustre père, comme pour faire allusion aux 24 grands-parents qui séparent le prophète Mouhammad (PSL) à Seydina Cheikh.
Paix à son âme. Puisse Dieu le compter parmi Ses proches et le récompenser pour ses longues années de labeur et de dévotion. Que la terre de Kawsara lui soit légère ! Qu’Allah supporte ses héritiers dans la perpétuation de son œuvre immense et déverse sur eux toutes les grâces divines de ce fameux poème de 1967 !
PRIERES D’UN PERE POUR UN FILS EXEMPLAIRE
Nous sommes en 1967, le vendredi 17 février précisément. Serigne Mouhamed Ahmad foule le sol égyptien, accueilli son grand frère, Mouhamadou Mansour Sall, actuel khalife de Serigne Abass. Au même moment, son père lui dédie un poème de 9 vers, composé en bakhr bassit (vers libres). Ce poème, aussi visionnaire qu’invocateur, rend compte de l’estime d’un père à l’endroit de son fils et ami. Savourons cette traduction en français du Pr Issa Idrissa Seck.
1- Ô! Mon Seigneur, je T’ai confié le tout-petit fils, Mouhammad Ahmad. Sois son Hôte Accueillant.
2- Son Protecteur, Son soutien et Son Recours Son Meilleur Compagnon, et Son Tuteur.
3- Envoies-lui des anges qui se succèdent, qui le protègent et le gardent de par les six directions.
4- De tout ce que Tu crées de malfaisance et de préjudice qui se produit au sein de l’Univers où qu’il soit.
5- Ô! Mon seigneur, aides-lui à atteindre la finalité recherchée. En termes de la religion, de la vie d’ici-bas et du Retour là-bas.
6- Inspires-lui la voie de Droiture et prends-lui la main. Guides-lui vers tout ce qui est satisfaisant auprès de Toi.
7- Que la primature toujours soit son compagnon et allié. En atteignant ses finalités dans tous les domaines.
8- Jusqu’à ce il revienne sain et sauf vers le bercail. Jusqu’à ce qu’il atteigne tout ce qu’il souhaitait.
9- Les confiances déposées auprès d’Allah ne seront jamais perdues. Impossible! Car, Il Est Le Préservateur inatteignable.
Qu’Allah, le Généreux et le dominant paie à notre place notre guide : Abass la meilleur récompense avec gratitude
Par Mansour Gaye