La mondialisation a introduit un certain paradoxe dans la conception des cultures et des civilisations : une globalisation des modèles culturels doublée d’une fragmentation des appartenances et des identités de telle sorte que les peuples et les communautés qui ne veillent pas à la préservation et à la valorisation de leur patrimoine sont condamnés à la mimique des autres et à l’ignorance progressive de soi. De plus, la Tijaniyya du Sénégal, singulièrement le foyer de Tivaouane, sont particulièrement interpellés par cette problématique dont la dimension culturelle scientifiquement maitrisée sera fondatrice d’une connaissance objective de l’Islam Sénégalais.
Justement quelle est la pertinence d’une telle problématique pour un foyer religieux comme Tivaouane ?
Partant de l’Article 2 du texte de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel qui définit le patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, comme étant en perpétuelle recréation, nous avons estimé qu’il était urgent que notre génération, au regard des défis qui l’interpellent, se réapproprie cet héritage en partage. En produisant des œuvres multiples et variées portant sur la religion et la Tariqa Tijaan, Cheikh El Hadji Malick Sy, a ouvert la voie à une tradition de contribution intellectuelle endogène marquée par une démarche culturelle attestée par son ouvrage de référence que constitue, entre autres, la Kifâyat Râghibîn. Il revient donc, en toute responsabilité et sens du devoir, aux jeunes générations de perpétuer un tel enseignement en parfaite intelligence des réalités et contraintes de notre monde moderne.
Vous évoquez très souvent la notion de responsabilité….
Il s’agit bien d’une responsabilité historique. Malgré les difficultés de leur temps marqué par l’oppression coloniale et des conditions loin du confort de notre temps, les précurseurs ont tenu à inscrire le legs des anciens dans la durabilité. Aurions-nous quelque excuse que ce soit avec les possibilités qu’offrent notre époque moderne en termes de technologies, de ressources humaines et de savoir-faire ? C’est en sens que l’œuvre de Cheikh El Hadji Malick Sy est pour nous très inspirant. D’ailleurs, dans son ouvrage Jinâyat al-Muntasib al-Anî, Cheikh Ahmad Sukayrij le présentait comme « le legs béni des anciens aux nouvelles générations « Barakatu-s-salafi fil khalafi ».
Le Symposium du Mawlid est devenu un évènement phare ; par-delà les réflexions, des actions concrètes ont-elles été entreprises dans ce sens ?
Depuis toujours, des actions conséquentes ont été menées dans le sens de la préservation et de la valorisation du patrimoine intellectuel de Tivaouane. Sous la supervision de Serigne Abdoul Aziz Sy Al-Amine, des ouvrages importants de Cheikh El Hadji Malick Sy ont été réédités avec référencement bibliographique international en même temps que des manuscrits sur la vie de la Hadra dans un contexte qui a vu l’achèvement des travaux de la bibliothèque de Tivaouane. Le Gamou de cette année sera l’occasion de procéder au lancement officiel de ces nouvelles éditions. Déjà, au sortir du Symposium sera créé le Centre de Recherches, d’Etudes et de Documentation sur l’Islam et la Tijâniyya (CREDIT) qui sera le noyau central de collecte, de traitement et de diffusion du patrimoine écrit sur l’Islam et la Tarîqa.
C’est donc un vaste chantier. Quelle forme d’implication attendez-vous des familles religieuses détentrices de pans entiers de ce patrimoine ?
Le Comité scientifique en collaboration avec le CREDIT (Centre de Recherches, d’Etudes et de Documentation sur l’Islam et la Tijâniyya) a déjà lancé un appel en direction des familles religieuses auprès desquelles un vaste travail de sensibilisation va être entrepris dès après le Gamou. Nous en appelons, aussi, aux innombrables personnes-ressources de notre communauté si diverse aussi bien au Sénégal que dans la diaspora dont certaines expériences réussies pourront être mises à profit surtout dans la numérisation, la traduction et la diffusion utilisant toutes les techniques modernes qu’offre notre époque. En vérité, si la patrimonialisation s’impose comme un véritable enjeu socio-culturel, la diffusion optimale et la valorisation tenant compte de l’enrichissante diversité de la Tijâniyya sont autant de défis qui nous interpellent tous.