En fait, il était difficile de décrypter tout le sens et la quintessence de l’enseignement de Borom Dâraji, sa démarche pédagogique, sans être dans les dispositions intellectuelles d’un érudit armé de solides connaissances en prosodie, rhétorique et surtout d’une maîtrise des subtilités de la langue arabe qu’il chérissait. Son style lorsqu’il expliquait les textes classiques les plus ardues, rappelait celui de la Munâzara, la confrontation des idées et des hypothèses connue des oulémas de Baghdâd aux temps de la Bayt al-Hikma (maison de la sagesse). Mais rien de surprenant pour qui connaît l’environnement intellectuel dans lequel dans lequel a baigné Serigne Mansour Sy dès sa tendre jeunesse. En plein bouillonnement scientifique de l’aprés- Ndiarndé (séminaire d’El Hadji Malick), Serigne Mansour qui était confié à Serigne Chaybatou Fall pour son instruction et son éducation spirituelle, était aussi entouré des ténors et Muqaddams de Seydi Hadji Malick tels que Serigne Alioune Guère et Serigne Birane Sarr. Il apprenait de tous, c’est certainement la raison pour laquelle, il était si généreux dans la transmission de la connaissance. Il aura marqué Tivaouane, cette "université populaire" dont parlait déjà Paul Marty dans les années 1917 (Etudes sr l’islam au Sénégal), mais surtout participé à son rayonnement hors des frontières du Sénégal.
On se souvient qu’en 1998, le khalife général, Serigne Mansour Sy Borom Daaraji fut désigné, lors du grand rassemblement international au Tchad, pour prononcer un discours historique et fondateur en direction de toute la Ummah islamique. Au-dela de la personne du défunt calife, ce fait s’inscrit dans la particularité de Tivaouane d’avoir toujours été à l’avant-garde du processus de l’internationalisation de l’islam sénégalais. Pour mieux saisir la dimension du lettré disparu, rappelons,-nous, à titre d’exemple que la qasîda qu’il dédia au défunt roi Hassan II, lors des journées Cheikhna Ahmed Tijiânî, fut considéré par le Ministre marocain des affaires islamiques de l’époque, Abdel Kabir al-Alaoui Madghrî, comme le plus bel hommage qu’il n’ait jamais entendu. J’avais coutume de l’appeler "le classique" dans toute splendeur mais aussi, tel un véritable "gardien du temple", l’homme dévoué à la préservation du legs de Seydi Hadji Malick. Il est sûr que le maître s’en est allé, mais le daara et la hadra regorgent de toutes les ressources nécessaires à la perpétuation de leur rayonnement.
Dr Bakary Samb