Des jours et des nuits les foules de pèlerins à la limite du fanatique ont bu leurs paroles, ponctuant les prêches et conférences de commentaires, voire de transes, pour témoigner que leur érudit ‘’amul maas’’ (n’a pas de pareil). En bon talibé —titre revendiqué par tout un chacun— on est d’accord de la plus bruyante des manières sur tout ce que dit le marabout et une fois de retour à la maison on ressasse pour les malheureux absents le film des événements vécus avant de finir par s’extasier sur le caractère exceptionnel du Gamou et du Magal.
’’Gamou ren gi neex na’’ (le Gamou de cette année est excellent), ‘’Magalu ren gi moodax bu daaw’’ (le Magal de cette année est meilleur que le précédent), entend-on par-ci par-là auprès des rentrants des cités religieuses qui s’extasient également sur le nombre impressionnant des foules, la bouffe à gogo et les beaux chants religieux.
Pour faire plus forte impression et montrer que vraiment ils ont y été, certains reprennent dans leur plaidoyer d’un évènement exceptionnel la formule prisée de Serigne Mansour Sy : ’’Gamou gi dafa aladahomé’’. Et toc ! Ça s’arrête là pour l’écrasante majorité des pèlerins. Reprenant le travail ou les activités après avoir longtemps paressé à la maison sous prétexte d’un repos mérité, ils retrouvent leurs vieilles habitudes et défauts qui ne sont autres que l’antithèse de ceux donnés en exemple par les érudits dont on était allé magnifier les écrits et les enseignements.
Travail bâclé pour lequel on n’a pourtant de cesse de demander des augmentations et des gratifications, rodomontades des clients venus solliciter un service pour lequel on vous paie, pause prolongée plus que de raison voire transformée en après-midi de pont sous prétexte qu’on a une cérémonie familiale ou qu’on est fatigué car ’’nit du machine’’ (l’humain n’est pas un robot). Sentiment de supériorité à l’égard du prochain, parce qu’il n’est pas de votre confrérie ou de la même religion, hausse illicite de marchandises au détriment des consommateurs aux abois, trafic de balance à peser les denrées, augmentation cynique des tarifs de transport grâce à un sectionnement des trajets.
Autant de comportements situés aux antipodes de ceux entendus de la bouche du marabout à qui on a récemment renouvelé acte d’allégeance et sur la grandeur de qui on jure (‘’barké segn’bi’’ !) pour ensuite persister dans son mauvais comportement. Fi de l’enseignement coranique selon lequel l’homme a beau avoir le meilleur discours et la plus belle des intentions, il ne sera jugé que sur ses actes ! ‘’Julit juli rek’’ (le musulman se reconnaît par le respect scrupuleux des cinq prières quotidiennes), disait un de nos érudits.
Plus d’attention et davantage de réflexion sur les belles formules de persévérance, de serviabilité, de fraternité, d’altruisme, de tolérance, de politesse, de discrétion et de respect entendues à Cambérène, à Médina Baye, à Médina Gounass, au Mausolée Seydou Nourou Tall, à Thiénaba, à Tivaouane, à Touba et bientôt à Ndiassane auraient assurément aidé à se départir de certaines des tares déplorées tantôt, à défaut de toutes.
A ce propos, le plaidoyer de l’appel au dialogue entre le pouvoir et l’opposition lancé par le Khalife général des Tidjanes via son porte- parole Abdou Aziz Sy Al Amine est tout un programme sur lequel il y a matière à bâtir une cohabitation pacifique. S’exprimant en présence du chef de l’Etat, il a dit que tout compagnonnage doit être basé sur cette sincérité qui fait qu’’’on n’exige pas de son vis-à-vis ce qu’il ne peut faire et ce dernier à son tour ne doit pas s’enfermer dans une attitude de refus total quand il est avéré qu’il peut bien donner ce qu’on lui demande’’.
Cette formule prononcée à l’endroit des politiques qu’on a vite fait de pousser à la réaction à commencer séance tenante par le chef de l’Etat pourrait bien s’appliquer à l’ensemble des Sénégalais prompts pour beaucoup d’entre eux à vouer aux gémonies celui qui ne satisfait pas à leurs desideratas. ‘’Dafa nay’’ (il est pingre), ‘’Du dimbalé ken’’ (il n’aide personne), a-t-on tôt fait de lancer au sollicité sans chercher à savoir s’il est en mesure de satisfaire votre requête. Souvent, il s’agit d’un bonhomme qui trime dur et parce qu’il ne demande rien à personne pour ne pas gêner est perçu à tort comme un riche qui se cache.
A l’opposé, il y a des riches à milliards dont le jeu favori est d’ignorer s’ils ne les envoient pas promener les parents et voisins dans le besoin avant d’aller distribuer leur argent dans les ‘’xaware’’ (réceptions mondaines). Paradoxalement, Satan, pour vous perdre, se fait payer cash là où l’accès à Dieu est gratuit, a soutenu à l’occasion du Gamou un marabout expliquant que s’il n’y a rien à débourser pour suivre un chant religieux il en est autrement pour une soirée de gala où on paie d’abord avant d’entrer, puis on distribue forces billets de banque à la flopée de griots chantant vos louanges.
Moult formules pertinentes du genre de celle sur laquelle doit être bâtie la coexistence pacifique des Sénégalais ont été tirées des enseignements du Prophète et servies à la foule des fidèles à qui on ne demande pas (c’est impossible !) d’être comme dit le chanteur ‘’Sang ba ca Médina’’, mais de se donner le défi d’imiter certaines de ses qualités. Ne serait-ce qu’une once d’entre elles. En procédant de la sorte à l’issue de chaque Gamou et Magal, on pourra enfin se prévaloir d’être un bon musulman.
Toute autre attitude renvoie à celle de fêtards s’étant trompés de destination, à défaut de faire penser à cet impénitent ‘’kaccor’’ (noceur). De retour à la Mecque, le bonhomme s’est empressé de reprendre sa vie mouvementée et, aux conseils de retenue de son entourage scandalisé, il a rétorqué : ‘’Vous savez, je rentre du pèlerinage lavé de tout +bakar+ (pêché). Donc je peux replonger. Et l’année prochaine, je retournerai à la Mecque pour me faire pardonner de nouveau. +Yalla soxorul+ (Dieu n’est pas méchant)’’.