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La lutte contre l’islamophobie et les pièges à éviter

es campagnes de haine islamophobes récurrentes dont le dernier épisode en date a été le film nauséabond consacré au Prophète Mohammed par un vulgaire réalisateur américain sans scrupules ont suscité tout naturellement l’indignation d’une grande partie de l’opinion publique musulmane à travers le monde. Celle-ci n’est pas dupe. L’invocation de la liberté d’expression par les chantres du « deux poids, deux mesures » cache mal les relents d’une campagne islamophobe à caractère raciste, incitant objectivement à la haine et à la violence en contradiction flagrante avec les dispositions légales en vigueur dans la plupart des pays démocratiques.

Cependant, les diverses formes prises par l’indignation des musulmans, pour légitimes soient-elles, ne devraient pas rester sans questionnement ni dénonciation dans certaines de leurs expressions, au demeurant minoritaires, exclusives et violentes. Les réactions multiformes constatées à cette occasion renseignent plus profondément sur l’état culturel et psychologique actuel des sociétés musulmanes. Il est navrant de constater que le caractère réactif l’emporte le plus souvent alors qu’il est attendu de ces mêmes sociétés une mobilisation autrement plus intelligente et plus urgente contre toutes les formes d’injustice et de mépris dont elles sont l’objet de la part des puissances de ce monde et de leurs relais locaux qui les enferment dans le cercle vicieux de l’ignorance et du sous-développement.

Sans négliger la dimension symbolique de la levée en masse de pans entiers des sociétés musulmanes contre ce qui a été vécu et ressenti comme une agression caractérisée, il convient de s’interroger sur les raisons qui poussent à de telles réactions en chaîne contre un film jugé blasphématoire alors que les mêmes sociétés sont passives quand elles ne sont pas tétanisées face à des agressions autrement plus brutales visant leur dignité et leur intégrité physique et morale au travers de guerres endémiques, de fausses « révolutions » et de campagnes terroristes meurtrières téléguidées de l’extérieur.

La présence active de groupes intégristes radicaux prompts à utiliser la moindre occasion pour mobiliser les fidèles dans des campagnes thaumaturgiques croyant à tort répondre aux campagnes de haine islamophobes par des campagnes d’hystérie collective n’explique pas tout. Ces groupes radicaux arrivent à mobiliser dans ce registre parce qu’elles trouvent un terrain culturel propice qui été rendu fertile par la politique de déculturation et d’aliénation suivie de manière systématique par les régimes autoritaires en place depuis des décennies.

Un autre facteur pourrait expliquer la facilité avec laquelle les groupes intégristes radicaux arrivent à leurs fins dans un contexte international propice. Il s’agit de la démission des autres courants idéologiques qu’ils soient libéraux, de gauche ou islamistes modérés comme les Frères musulmans, occupés chacun de son côté par l’arrivée au pouvoir et le partage de ses rentes, quitte à le faire dans un compromis avec les maîtres du jour à l’échelle internationale comme cela s’est malheureusement produit en Tunisie, en Egypte et en Libye et comme cela est en train d’être réédité en Syrie.

La lutte contre l’islamophobie en Europe

Il est d’autant plus regrettable de constater la reproduction des mêmes phénomènes en Europe où les conditions sociales, politiques et culturelles pouvaient laisser penser que la communauté musulmane a plus de possibilités en vue de mobiliser la force du droit pour faire reculer les campagnes de haine islamophobes et faire progresser ses droits sociaux et démocratiques contre les politiques de discrimination et d’exclusion qui la visent.

Si on met de côté l’amalgame facile des grands médias qui sont prompts à réduire toute mobilisation contre les campagnes islamophobes aux pratiques antidémocratiques, au demeurant minoritaires, de groupes intégristes, il est important de rappeler que les associations civiles qui luttent sur le terrain contre toutes les formes de racisme et d’islamophobie ont une grande responsabilité dans la conjoncture actuelle.

Le chantage à l’intégrisme et au terrorisme, s’il peut tétaniser de nombreuses volontés, ne doit pas faire baisser la vigilance et la mobilisation contre toutes les formes d’islamophobie laquelle reste, faut-il le rappeler, une forme sournoise de racisme qui ne dit pas son nom quand bien même elle pourrait parfois se draper d’un discours « laïc » et « républicain » trompeur.

Cependant la mobilisation contre toutes les formes de racisme et d’islamophobie gagnerait en profondeur et en efficacité si parallèlement les associations civiles, qui en font leur cheval de bataille, se hissent au niveau des véritables enjeux sociaux et démocratiques et évitent les pièges tendus par tous ceux qui ont intérêt à dénaturer le sens de cette mobilisation et l’isoler de son environnement démocratique naturel.

Les trois pathologies à éviter

Sur le chemin difficile de la prise de conscience sociale et démocratique, les associations qui militent plus spécifiquement contre cette forme particulière de racisme qu’est l’islamophobie auront à prendre garde contre trois pathologies sociopolitiques dangereuses que sont l’intégrisme, le communautarisme et le populisme.

Bien entendu, il ne faut surtout pas confondre l’intégrisme avec la sensibilité spirituelle légitime de de tous qui vivent au quotidien les symboles et les rites de leur religion dans le respect des normes légales, professionnelles et sociales de leur appartenance à la cité. Il ne faut pas non plus crier à l’intégrisme dès que des courants sociopolitiques musulmans cherchent à construire une alternative politique en partant des valeurs léguées par leur patrimoine religieux et culturel comme ce fut le cas en Europe des courants rattachés à la tradition chrétienne qu’ils soient de droite, du centre ou de gauche.

Mais ce n’est pas parce que le terme « intégrisme » est galvaudé par les médias qu’il n’existe pas et qu’il ne pose pas problème. L’intégrisme se présente à cet égard comme une malformation de la sensibilité religieuse au point d’en faire une idéologie et une pratique d’exclusion et d’anathème contre tous ceux qui ne pensent pas et ne vivent pas selon les canons supposés d’une Loi religieuse revue et corrigée par des pseudo-théologiens nourris à la mamelle pétrolière de pouvoirs patriarcaux et rétrogrades d’un autre temps.

L’intégrisme s’avère également dangereux parce qu’il tend à nourrir des dérives violentes dans des stratégies politiques scélérates visant à instrumentaliser la révolte légitime de jeunes désespérés à des fins occultes, dérives qui font au demeurant plus de victimes parmi les populations civiles innocentes, à commencer par les populations des sociétés arabes et musulmanes traumatisées par un terrorisme sectaire et dévastateur. Mais l’intégrisme est avant tout une pathologie sociopolitique qui exploite l’aspiration des peuples à l’émancipation sociale et culturelle tout en la déviant vers une impasse politique et une régression culturelle qui font reculer d’autant toute perspective de développement et d’émancipation et finissent par nourrir les discours et les pratiques bellicistes des chantres du « choc des civilisations ».

Le communautarisme qui se nourrit de l’intégrisme tout en le nourrissant à son tour est un piège politique dangereux dans la mesure où il finit par isoler les communautés issues de l’immigration, en butte aux discriminations et à l’exclusion sociale, de leur environnement naturel. Au lieu d’inscrire leur lutte contre l’islamophobie dans le cadre plus large de la lutte contre le racisme et pour l’approfondissement de la démocratie, le communautarisme contribue à dénaturer cette lutte et à la présenter sous un visage antipathique et repoussant, la privant ainsi des solidarités naturelles qui pourraient provenir des autres forces sociales et démocratiques qui luttent de leur côté pour des causes semblables et qui pourraient de ce fait converger dans un large front démocratique.

Le populisme constitue, à son tour, un frein à l’épanouissement souhaité de la lutte contre le racisme et l’islamophobie. Dans des accents poujadistes à peine renouvelés, le populisme consiste à exploiter les inconséquences des partis et des syndicats de gauche, travaillés de l’intérieur par des courants contradictoires et parfois islamophobes, pour faire croire que toutes les forces politiques, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, se valent. Le discours récurrent de certains courants minoritaires contre tous les « partis blancs » participe malheureusement de cet aveuglement idéologique et politique et contribue à conforter les populations qui se sentent discriminées et exclues dans un sentiment de solitude et de victimisation propice à toutes les manipulations politiciennes.

Pareil enfermement revient à pousser à son paroxysme la logique d’exclusion politique des populations discriminées qui finissent par s’auto-exclure elles-mêmes au lieu de lutter en vue d’imposer leur droit légitime à la participation aux affaires de la cité et ce, à travers toutes les formes de la vie démocratique qui demandent à être renouvelées par l’injection d’un sang neuf en provenance des couches sociales les plus diverses.

C’est pourquoi la lutte contre le racisme et l’islamophobie gagnerait aujourd’hui à se débarrasser de tous les signes se rapportant à l’une ou l’autre de ces trois pathologies sociopolitiques qui constituent un frein au développement d’une véritable synergie entre toutes les mobilisations citoyennes visant à faire reculer l’exclusion, la haine et la violence dans un contexte historique marqué par une crise du lien social et une montée des extrêmes et à promouvoir les valeurs humanistes de tolérance, de respect et de solidarité.

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