Rappelons que samedi 30 juin, un des représentants du groupe islamiste Ansar Dine a répété la menace selon laquelle « tous les mausolées de la ville seront détruits sans exception ». Il s’agit de monuments funéraires dédiés à des saints et qui ont été classés au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1988. Jusqu’à quel point sont-ils détruits ? Profanés par les groupes islamistes, suite à l’inscription de Tombouctou par l’Unesco, jeudi 28 juin, sur la liste du patrimoine en péril ? Ces actes largement condamnés par la communauté internationale, ont été revendiqués par le groupe Ansar Dine, qui contrôle désormais le Nord-Mali avec ses alliés d’Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique).
Eric Huysecom est présent depuis 1979 au Mali. Directeur du Laboratoire Archéologie et Peuplement de l’Afrique (APA) du Département de génétique et évolution de l’Université de Genève (GENEV), en Suisse, il est également professeur au Département d’histoire et d’archéologie de l’Université de Bamako, au Mali. Sur le terrain, il dirige une importante mission archéologique. Il est interviewé par Bernadette Arnaud, grand reporter à Sciences et Avenir.
Sciences et Avenir : Savez-vous exactement ce qui a été détruit à Tombouctou ?
Eric Huysecom: Vu la confusion qui règne actuellement sur place, il est difficile de connaître l’importance exacte des destructions. De savoir si les monuments ont été « rasés », ou simplement « profanés ». Ce qui semble sûr, c’est que dimanche 1er juillet, 4 monuments au moins ont fait l’objet de profanation plus ou moins importantes: les mausolées de Sidi Mahmoud ben Amar, Alpha Moya, Sidi Mokhtar et celui de Cheikh el-Kébir.
Une vue aérienne de Tombouctou, crédit superstock/ superstock/ sipa
Où se trouvent exactement ces monuments classés au Patrimoine mondial?
Pour la plupart dans les cimetières situés en périphérie de la vieille ville, englobée dans la ville actuelle.
Que représentent ces sites pour la population de Tombouctou?
Ces sites sont extrêmement importants pour les populations locales, et ce à divers titres. Tout d’abord, ils représentent un patrimoine dont, non seulement les habitants de Tombouctou, mais aussi tous les Maliens sont fiers, car ils témoignent du rayonnement du Moyen-âge de Tombouctou et de l’Afrique, tant vers l’Orient que vers la Méditerranée et l’Europe.
Ensuite, ils sont considérés comme assurant la protection de la ville de Tombouctou, dite « la ville aux 333 saints ».
Enfin, les habitants de la région font souvent appel au Saints inhumés dans ces mausolées, au travers de prières, pour obtenir des bénédictions pour la réussite de récoltes, des expéditions caravanières, ou de bonheur durant le mariage, etc…
Pourquoi des musulmans détruisent-ils des sites sacrés musulmans?
Il s’agit de deux formes d’Islam difficilement compatibles.
Pour la première, ces monuments sont le témoignage d’un islam "d’ouverture", d’un islam "rayonnant", tant dans le domaine des arts, de la littérature que des sciences ou de la médecine, mais aussi d’un islam de tolérance, où le non-musulman avait aussi sa place.
Cette image d’islam tolérant, brillant par la culture et le savoir, est contraire à celle que prônent les mouvements intégristes et radicaux tels qu’Ansar Dine ou Aqmi (Al-Qaida au Maghreb).
Pour ces derniers, les cultes personnalisés dont font l’objet les saints inhumés dans ces mausolées sont incompatibles avec un islam où seul le Prophète peut être invoqué.
Je me permettrais la comparaison entre la révolte protestante contre le culte des saints pratiqué par la religion catholique, il y a quelques siècles.
Depuis l’annexion du nord Mali par les mouvements Touareg et le groupe Ansar Dine, quelles sont les zones archéologiques désormais passées sous leur contrôle?
Une multitude …. Toutes les ruines des cités médiévales sahariennes comme Tadmeka et bien d’autres, les innombrable sites préhistoriques de la vallée du Tilemsi et du bassin de Taoudeni, tous les sites à peintures et gravures rupestres préhistoriques, les nécropoles royales de Gao, tous les monuments de Tombouctou, et tous les sites-clefs pour l’archéologie africaine que je ne désire pas citer, ne souhaitant pas donner d’idées aux pilleurs …
Elle se situe en Pays dogon, immédiatement au Sud du périmètre principalement concerné. Deux de ses villes majeures, Douentza et Hombori, sont contrôlées par la rébellion. Et plusieurs incursions armées, dans la plaine du Séno et dans le cercle de Koro, viennent d’avoir lieu…
Quelles nouvelles avez-vous reçu de vos confrères maliens?
Ils sont aussi consternés et impuissants que nous. C’est un drame qui se joue, non seulement pour ce pays, mais pour toute l’Afrique. Je désire souligner à quel point ces destructions frappent de désarroi les populations locales.
Que deviennent les précieux ouvrages médiévaux conservés dans certaines bibliothèques de la région ?
Nous savons qu’une partie de la bibliothèque du Centre Ahmed Baba de Tombouctou a pu être mise à l’abri, et que de nombreux ouvrages sont sous la protection des familles. Mais nous avons aussi que certains des manuscrits ont été emportés par des membres d’Ansar Dine.
Depuis quand aviez-vous senti que la situation se détériorait dans la région ?
Depuis deux ans. Dès novembre 2010, nous avions prévu de transférer les activités de notre programme de recherche international "Peuplement humain et paléoenvironnement en Afrique de l’Ouest", du Pays dogon vers la vallée de la Falémé au Sénégal oriental.
Vous étudiez la présence de l’Homme dans la région depuis des centaines de milliers d’années. Comment s’inscrit la demande des mouvements Touareg, dans l’histoire du peuplement régional?
Les revendications sont nombreuses, et varient selon les groupes en présence. D’un point de vue politique, ce qui est demandé est la création d’un Etat indépendant de l’Azawad; d’une province malienne autonome. L’Etat de l’Azawad, tel qu’il est réclamé par les Touaregs, délimite une zone qui a en fait toujours été multi-ethnique, peuplée par des groupes divers: Touaregs, Sonrhaï, Maures etc… Du point de vue religieux, c’est l’instauration de la charia prônée par les islamistes d’Ansar Dine, au Mali.
En 2001, en Afghanistan, le mollah Omar faisait exploser les Bouddha de Bamiyan à coups de canon. En quoi les destructions du Nord Mali se distinguent-elles ?
Il est important pour moi de souligner qu’au Mali la situation est particulièrement tragique et distincte de la destruction des Bouddhas de Bamiyan en Afghanistan. A Bamiyan, il s’agissait de destructions terribles d’un patrimoine mondial pluri séculaire et exceptionnel, toutefois déconnecté de la croyance des populations locales (même si d’autres nations bouddhistes y étaient bien entendu religieusement attachées comme le Japon etc.). Au Nord-Mali, il s’agit non seulement de la destruction d’un patrimoine mondial, mais aussi, avant tout du patrimoine malien, du patrimoine des populations habitant Tombouctou. Impuissantes, elles assistent à la destruction, sous leurs yeux, des tombeaux de leurs ancêtres. De lieux saints toujours profondément vénérés.
Avec Scienceavenir.fr