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LE DIALOGUE, ÉTHIQUE DE L’ADVERSITÉ

Dans notre pays où la devise Un peuple, un but, une foi, rappelle dans le même temps un legs et un rêve, il arrive que sur le chemin vers la finalité, on s’égare et qu’on risque de se disperser. Or, on ne peut arriver au but que si nous restons unis, dans le cadre de ce que nous partageons, en termes de valeurs de fraternité et de respect mutuel dans la diversité. Unis, en nous appuyant sur notre capacité de résilience et de solidarité pour nous soutenir les uns les autres, face aux épreuves, nous relever et poursuivre le cheminement, en une seule entité, un peuple. Dans des moments critiques comme ceux que nous vivons, où nos
passions se sont nourries de nos impatiences et intolérances, de nos frustrations et déceptions, des manipulations et formatages de nos mentalités, il y a des risques de fracture et de confrontation inutiles puisqu’il n’y aura qu’un seul perdant, le peuple au nom de qui on se bat. Dans une telle perspective, il n’y a pas d’autre issue raisonnable que le dialogue, pour vider les différends et incompréhensions et retrouver, ensemble, un consensus résolutoire vers le but. Sur ce chemin, on peut marcher séparément, sans être divisés dans des factions pour un mortal combat. Car dans un combat à mort, où dans chaque camp ce sont des milliers d’enfants du peuple qui constituent les
gladiateurs, prêts à mourir pour César, il ne faut pas se faire d’illusion. La mort, ici, ne signifie pas l’extermination des capitaines, mais la décadence
du peuple. Tournons un regard attentif autour de nous, et constatons ce que les pays ayant expérimenté le mortal combat ont obtenu comme gain de cause. Tous les pays qui nous entourent, tous, et qui ont usé de la violence et de la subversion pour changer de régime, ne sont pas encore sortis de l’auberge, ils sont encore, TOUS, dans l’incertain, malgré les slogans mobilisateurs.
Devoir de fidélité à l’héritage.
Comment réfuter le dialogue entre frères et sœurs, fils et filles d’un seul et même peuple ? Refuser le dialogue, disons le clairement, c’est opter pour la confrontation. Opter pour la brutalité, c’est s’écarter de la voie de
la raison, du legs de l’histoire, des commandements de Dieu, et des intérêts du peuple au nom de qui on parle.
Comment peut-on refuser le dialogue en amont, sachant que même si on opte pour la confrontation, on finira par dialoguer pour y mettre fin ?
Comment peut-on refuser le dialogue, sachant que même Allah a dialogué avec Ses anges quand il s’est agi de créer l’homme ? Comme pour nous dire, à nous humbles humains, impuissants et ignorants, que même si l’on détient tous les pouvoirs (IL est l’Omnipotent), devant certaines situations sérieuses, il est utile de parler aux autres et de les écouter.
Comment, en tant que croyant qui appelle à revivifier les valeurs religieuses, refuser le dialogue alors qu’il y a une injonction coranique y
afférent :
م ِن جنحو اوك ل على لَِّّلا إنه هَو السمي ع العليم فاجن ح لها وت
وإ للسل
Et s’ils inclinent à la paix, incline vers celle-ci (toi aussi) et place ta confiance en Allah, car c’est Lui l’Audient, l’Omniscient. Sourate Anfâl.
Il est à souligner ici, dans ce verset, qu’il y a une manière de freiner les ardeurs à la belligérance. Comme pour dire aux croyants, soyez toujours
prêts, mais même la confrontation a pour finalité la paix, par conséquent, s’ils inclinent à la paix, allez-y pour la paix !
Comment refuser la voix de la paix, si l’on a le Sénégal à cœur ? Si l’on place le Sénégal au-dessus de nous tous, comme le disait Serigne Abdoul
Aziz al-Amine en écho à son Dabbâkh d’homonyme.
Comment refuser le dialogue, si l’on sait que c’est notre héritage, c’est le legs de l’histoire, des ancêtres et pères fondateurs ?
De Senghor à Abdoulaye Wade, en passant par Abdou Diouf, nos chefs d’Etat n’ont jamais perdu de vue la fragilité de nos démocraties et l’abîme
des incertitudes, si on laissait notre chère patrie basculer dans le gouffre de la subversion. Ils étaient de grands leaders qui comprenaient qu’il n’y a pas d’héroïsme dans l’obstination à la fracture et à la haine. Ils savaient aller à contre-courant des radicaux de leurs camps, pour écouter la voix
de l’héritage et emprunter la voie du dialogue. Il en fut de même de nos guides religieux qui ont été à la fois des initiateurs et des parties prenantes du dialogue, depuis Serigne Fallou Mbacké, passant par Serigne Cheikh Tidiane Sy, Dabbâkh Mâlik, et al-Amine, qu’Allah les agrées tous ! Le Sénégal fut plus chaud, relativement au contexte, les esprits furent plus emportés, les forces en faction plus terrifiantes, dans un environnement plus critique, les leaders étaient restés clairvoyants, et reconnaissaient les lignes rouges invisibles à l’opinion des rues, à ne pas franchir. Même si le
peuple de la rue lui, ne voyait que du vert partout. C’est cela le sens de la responsabilité dont ils savaient faire montre. Et c’est cela l’étoffe d’un
leader, d’un véritable chef qui comprend qu’il n’est pas un chef de gang, mais un guide qui éclaire l’opinion sur des choix nécessaires quoique
difficiles. Le Messager d’Allah fut confronté au même choix, lors de l’accord d’al-Hudaybiyya, où il fut contraint d’aller à contre-courant de son
camp et de renoncer à la confrontation, en accédant à une concession qui semblait ne lui être pas favorable. On connait la suite, le triomphe qui
s’ensuivit. La voie éthique de l’adversité. Le dialogue c’est la dimension éthique de l’adversité, c’est admettre qu’il y a une autre voie que celle de la violence pour résoudre les conflits, pour
aller vers des consensus. C’est cette dimension éthique que comprenaient les parties prenantes que j’ai citées supra, de Senghor à Abdoulaye Wade.
C’est cette dimension éthique de l’adversité qui a permis à notre pays de faire des sauts qualitatifs, en période de crise, depuis l’ouverture
démocratique jusqu’à l’adoption du code électoral consensuel qui a contribué à l’alternance pacifique de 2000.Et c’est cette éthique de l’adversité qui fait que, même si l’on doute de la sincérité des uns ou des autres, le croyant est enjoint à incliner vers cette voie, en plaçant sa confiance en Allah Qui lui suffit1.
Pourquoi il importe de noter cette dimension de l’éthique dans le dialogue ? C’est parce que l’anti-dialogue, c’est la négation de l’existence de l’autre, c’est l’option pour l’existence de Moi et de Moi seulement, c’est l’anéantissement de Lui . Or dans le dialogue, c’est la reconnaissance du droit d’existence de l’autre avec moi. Et là, il y a un engagement à une co-construction des conditions de partager les espaces de vie politique, ensemble, dans la non-violence, pour un seul et même but, la grandeur de notre pays, non pas de notre égo.
Avec l’éthique de l’adversité dans le dialogue, il n’y a ni perdant ni gagnant, il n’y a que des responsabilités assumées, dans l’antiviolence, pour la coexistence de Lui et de Moi, Eux et Nous, ensemble. UN peuple. Le refus du dialogue, en revanche, signifie dire oui à quoi ? Si nous refusons le dialogue, cela signifie que nous disons OUI à la violence et à l’exclusion.
Cela signifie que nous affirmons la négation de l’existence de l’autre, et optons pour le conflit, facteur de destruction des biens et services, des
vies et du tissus social, à la place de la coexistence pacifique et de la collaboration constructive. C’est pourquoi le dialogue est essentiel pour parvenir à une solution pacifique des conflits, et à la co-construction d’un avenir commun pour la grandeur de notre pays et de son peuple. Amoon na fi, ce n’est pas de la légende, pourquoi dootu fi am2 ? Cela exige de la grandeur de la part de tous.
OUI au dialogue c’est NON au mortal combat. C’est OUI à la co-construction. NON au dialogue, c’est dire OUI à quoi ?

Professeur Abdoul Azize KEBE
Ministre Conseiller aux Affaires religieuses.

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