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L’école d’Elhadji Malick Sy en France : une présence dans la durée

L’introduction de l’école d’Elhadji Malick Sy dans le paysage religieux hexagonal est assez peu sourcée. Ce que nous savons est que son fils aîné, Sidi Ahmed SY est tombé à la Grande Guerre pour la France. Nous savons aussi que, à l’inauguration de la Grande Mosquée de Paris, construite en guise d’hommage aux soldats musulmans tombés pour la France, Elhadji Malick Sy était représenté par son disciple Abdoul Hamid Kane.

La continuité de l’implantation de l’école d’Elhadji Malick a été assurée grâce au développement de l’immigration économique. Ce cas de figure peut être illustré avec l’exemple lyonais, centre important de la Tijāniyya européenne.

Dans son article sur La Tijâniyya Lyonaise, Sylvie Cottin revient sur la conversion de la ‘Alawiyya à la Tijāniyya du cheikh Kamel Mansour, figure importante de cette confrérie et qui a eu à passer par le mouvement Tabligh et par le salafisme selon certains témoignages. D’après la chercheuse, sa conversion à la confrérie soufie fondée par Cheikh Ahmed Tijānī s’est faite auprès d’un Sénégalais connu sous le nom de Imam Mamadou Diallo qui, bien qu’affilié à la Tijāniyya par la chaine initiatique oumarienne [Elhadji Oumar Tall], était entouré par des disciples tijānes de l’école d’Elhadji Malick Sy. Cependant, nous avions affaire à une Tijāniyya de foyer où, de temps à autre, des cheikhs itinérants, pour reprendre l’expression de Sophie Bava, passait pour rencontrer les disciples. Nous sommes là dans les années 80. Cela a continué jusqu’aux années 2002/2004 où nous avons commencé à voir des structures plus organisées naître ici et là.

Tout est parti d’un Yahoo Groupe appelé Wā keur Cheikh [la famille de Cheikh Ahmed Tijānī] qui, à la base, constituait une sorte de réseau virtuel de solidarité où strages et petits boulots étaient souvent partagés. Un moment après la création du Yahoo Groupe, une discussion a eu lieu entre un certain M. Fall de Marseille, Imam Ahmed Ndiéguène de la Mosquée Bilal de Marseille, M. Diongue, du mouvement Ahibbā’ Seydi Diamil de Paris, P. Coulibaly de Grenoble et Bakary Sambe alors vivant à Lyon, une discussion qui a abouti à la mise en place d’une organisation physique pouvant regrouper toutes les structures tijānes de l’Hexagonne. C’est la naissance de la Fraternité de la Tijāniyya.

La Fraternité Tijāniyya

Fondée en 2005, la Fraternité Tijāniyya avait pour vocation de mettre en place un système de réseautage entre toutes les structures françaises de la Tijāniyya. Bien que, à ses débuts, englobant des réseaux ouest-africains de la confrérie, l’école d’Elhadji Malick Sy est celle qui comptait le plus de membres et de structures. La structure, avec un bureau national, était constituée de plusieurs réseaux dont la division était pensée de manière régionale répartie en 81 structures et sept secteurs. Ces différents réseaux constituent la Fraternité Tijāniyya qui, aujourd’hui, a pour unique but de faciliter l’intégration des disciples tijānes, notamment les étudiants, qui se déplacent régulièrement de ville en ville. Ainsi, grâce à la fraternité Tijāniyya, chaque disciple peut trouver des « frères » dans n’importe quelle ville française avec lesquels il pourrait accomplir les séances d’invocation obligatoires, notamment celle des vendredis soirs appelées Hadrat al-Jum’a.

Le Forum national de la Tijāniyya

Les initiateurs de la Fraternité ont aussi mis en place une organisation annuelle dont le but était de permettre à tous les adeptes de la Tijāniyya française de se rencontrer annuellement autour d’une thématique. Cette opération avait pour objectif de mieux organiser la confrérie et de prendre activement part aux débats sur l’organisation de l’islam de France comme peut en témoigner Bakary Sambe, l’un des initiateurs du Forum qui, aujourd’hui, n’est plus tenu :
« En février 2005, pour la première fois, une Grande Mosquée (celle de Lyon) accepta qu’y soit organisé le 1er Forum National sur la Tijâniyya, accueillant des délégations de Marseille, d’Aix-en-Provence, de Grenoble, de Perpignan, de Paris, etc. avec des travaux publics et ouvert à tous. Ce fut l’occasion de revisiter l’héritage de cette confrérie et de réfléchir sur les moyens de partager ses enseignements, son message de paix et d’amour par un travail de vulgarisation et de publication. Les Tijânis se sont donné rendez-vous à Marseille en 2006 pour la seconde édition du Forum qui sera précédé, à la rentrée, des Assises de la Tijâniyya, en Région parisienne afin de pouvoir échanger avec le plus grand nombre de nos concitoyens et de réfléchir sur l’islam, le dialogue inter-religieux ainsi que les nouveaux enjeux du soufisme. L’islam de France gagnera, certainement, par une plus grande reconnaissance de la diversité des réalités musulmanes. Reste maintenant que de telles initiatives soient soutenues ou au moins reconnues et que les adeptes d’une telle confrérie, au regard de leur nombre et de leurs initiatives en faveur d’un islam de paix et de tolérance, sortent de leur marginalité et trouvent des moyens dignes de vivre pleinement et plus sereinement leur spiritualité » .

Nous avons là affaire à une vraie stratégie de quête de reconnaissance et d’implication dans l’organisation de l’Islam de France. Aujourd’hui, le Forum de la Tijāniyya ne se tient plus en raison de divergences internes entres les membres des différents réseaux qui, chacun voulant impliquer sa référence religieuse, souvent au Sénégal, ont fait naître une lutte pour le contrôle du pouvoir religieux, laquelle lutte a mis fin à la dynamique.
Aujourd’hui, la Tijāniyya sénégalaise est gérée par des familles et maîtres confrériques souvent vivant au Sénégal et qui se déplacent régulièrement en France pour animer des causeries et des journées culturelles avec leurs disciples. Cela fait de la Tijāniyya sénégalaise en France une confrérie transnationale où chacun, dans la limite de ses moyens, noue des partenariats stratégiques avec d’autres mouvements pour une plus grande mobilisation. Cette dynamique pourrait être illustrée par le mouvement Aḥibbā’ Seydi Djamil.

Tout est parti en 2002 où, venant d’arriver en France en tant qu’étudiants, un groupe de jeunes sénégalais se réunissait toutes les semaines dans une chambre estudiantine de 12m2 à Noisy le Sec pour des chants tijānes et, le vendredi soir, pour la séance de hadra, dans la salle, qui se trouvait au rez-de-chaussée de la résidence, lorsque la chambre ne pouvait plus contenir le monde qui venait, de plus en plus nombreux.

De passage à Paris, Serigne Manosur Sy Djamil, petit-fils d’Elhadji Malick Sy et diplômé de l’Université de Sorbonne, a appuyé la démarche avec une autorisation officielle pour que le jeune mouvement, qui venait de se constituer, soit rattaché à la famille spirituelle d’Elhadji Malick Sy. Serigne Manosur Sy Djamil donnait ensuite les coordonnées du jeune mouvement aux disciples qui venaient étudier à Paris pour qu’ils puissent entrer en contact. Au début, on les appelait Dahira étudiant. C’est ensuite que Serigne Mansour Sy Djamil leur donné le nom de Aḥibbā’ Seydi Djamil [Ceux qui aiment Seydi Djamil]. Seydi Djamil, fils de Serigne Babacar SY et petit-fils d’Elhadji Malick Sy, est le père de Serigne Mansour Sy Djamil.

Aujourd’hui, le mouvement qui se réunit tous les vendredis à la salle MAS, située au 10 rue des Terres au Curé dans le XIIIe arrondissement de Paris, compte une centaine de membre rien qu’en région parisienne. En plus de cela, Serigne Mansour Sy Djamil a eu l’initiative de les mettre en contact avec les autres structures européennes dont il est le maître spirituel. C’est ainsi qu’est née une organisation européenne des Aḥibbā’ Seydi Djamil qui regroupe des disciples tijanes de Paris, Stuttgart, Londres, Munich et Tréviso où, chaque année, est tenu une cérémonie religieuse, par Serigne Mansour Sy Djamil présidée, qui regroupe entre 2000 et 3000 disciples venus de toute l’Europe mais aussi du Sénégal. C’est au sujet de cet évènement que, dans un texte qu’il nous a fait l’amitié de partager avec nous, il souligne :
« Bonheur ineffable dans une Europe où l’on projette une image abjecte, mais fausse, de l’Islam. Voici un événement qui célèbre la paix des cœurs et des esprits dans une commémoration qui a la signification d’un véritable recueillement et d’une fête exquise qui réunit la culture du Sénégal dans ses différentes formes et ce dans le week-end Saint de Pâques en communion avec nos frères chrétiens dans le pays du Vatican. Le choix du week-end de Pâques est la clef du succès du Gamou de Treviso. Il nous évite de le tenir le jour même de la disparition de Serigne Babacar SY et nous rappelle en même temps notre appartenance à la vieille tradition abrahamique, fondatrice du monothéisme ».

Dr Seydi Diamil Niane / IFAN Cheikh Anta Diop

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