Cette notion qui va bien au-delà d’une simple « crainte de Dieu » à laquelle elle est souvent réduite, inclut le sens de la responsabilité première de l’Homme d’être le « vicaire de Dieu sur terre » ; statut pour lequel il s’est lui-même proposé. C’est ce pacte originel qui, en principe, le responsabilise pour ne plus incarner, dans l’idéal, que vertus et valeurs.
Cheikh El Hadji Malick Sy s’est appuyé sur les enseignements de la Tijâniyya dont la finalité ultime est la droiture, le seul lieu de sécurité absolue. Il le fera par une méthode fondée sur l’éducation (tarbiyya, tarqiyya) au sens d’inculcation de savoirs mais aussi d’élévation spirituelle non pas en s’enfermant en dehors du monde social, de la cité, mais en affrontant la société telle qu’elle est pour mieux la transformer.
Ce rare procédé qui fait de la Tijâniyya une rupture méthodologique par rapport aux voies précédentes comme la khalwatiyya, est décrite par Serigne Babacar Sy en ces termes : « Il éduqua sans retraite ses compagnons en plein jour jusqu’à ce qu’ils atteignent la droiture ». La prouesse n’est pas tant de réaliser l’objectif ultime d’une telle éducation mais d’affronter en même temps le monde corrompu, en le défiant pour le vaincre, par la droiture.
Droiture, ou istiqâma, en arabe, tel est le maître-mot de l’école de Tivaouane sachant qu’elle inclut toutes les autres valeurs qui fondent la morale garante d’une cité vertueuse. C’est pour cela que Cheikh El Hadji Mansour Sy décrivait la cité de Maodo comme le « lieu de droiture » (Mahallu-stiqâma) et invita les générations qui veulent s’en réclamer à suivre les pas des devanciers (Alâ fa-staqîmû mithla man qablakum marrû ), sur le chemin de la droiture.
En vérité, le pilier central de la Taqwâ, la conscience intime de Dieu, qui tient la bâtisse, rappelant le pacte originel et la responsabilité de l’Homme, doit se manifester sur ses deux dimensions verticale et horizontale. Le pacte liant l’Homme à Dieu, pérennisant la relation de fidélité entre le Ciel et la terre, et qui consiste à ne jamais faillir à sa mission de « vicaire » digne de son sacerdoce doit, en même temps, façonner les relations sociales, avec l’alter ego, au sens d’une solidarité dans le bien (Mahallu Ta’âwunin ‘alal birr iwa taqwâ) comme dit Cheikh El Hadji Mansour Sy à propos de Tivaouane.
C’est en incarnant de telles valeurs de droiture et de justice que la Cité vivra en toute sécurité, comme le Coran (VI, 82) le rappelle en ces termes : « Ceux qui ont cru et dont la foi n’a été altérée d’aucune injustice, ceux-là sont en sécurité et ceux-là sont les bien guidés ».
Dans la description du Tivaouane Idéal, Cheikh El Hadji Mansour Sy cite certaines antivaleurs dont il faudrait, absolument, épargner la cité de Maodo afin qu’elle demeure celle de la conscience intime de Dieu (Bunyânu haza Shayk ussissa fi tuqâ).
Il pointa du doigt, singulièrement, la notion de « Ta’assub », (lâ mahallu ta’assubin) renvoyant à toutes les formes de dogmatismes et de sectarismes excluant l’autre : ce que Tivoauane, donc la cité idéale, ne devait surtout pas être ! Quelle fraîcheur en ces temps assombris par la montée des conflits de toutes natures, dans un monde de méfiance où certains prônent même la guerre des cultures !
Ces valeurs promues par l’enseignement de Tivaouane sont, en réalité, dans le schéma d’une telle description, les gages de la préservation de la Cité idéale de toutes les nuisances pour qu’elle demeure, en toutes circonstances, le plus sûr des refuges : « Yadu-llâhi tahmî ‘anhu min kulli âtatin, fa açbaha ma’mûnan yuhattu bihil wizru » !
Il s’agit donc, conformément à la méthode de Cheikh El Hadji Malick Sy, par l’enseignement et l’éducation spirituelle, de former l’honnête homme et le citoyen modèle dans le sens du digne habitant de la cité vertueuse (Al-Madîna al-Fâdila).
A l’heure d’une perte inquiétante de confiance entre les gouvernés et gouvernants où la politique renvoie aux antivaleurs, alors que Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy la définissait noblement et simplement comme « l’art de mieux connaître les problèmes de la cité et de chercher à les résoudre », il serait bien indiqué de revisiter un tel enseignement.
Mais l’honnête homme est-il en train de devenir une espèce en voie de disparition dans ce qui est devenu la « jungle politique » sous nos cieux.
Pourtant, en dehors même des enseignements de l’islam en termes de fidélité, de sincérité, notre société était régie par la notion de « Ngor », une valeur composite et englobante de toutes les autres, difficilement traduisible sauf à la réduire à « la dignité en toutes circonstances »
Serigne Babacar Sy qui disait que « lislâm fekk na fi ngor », n’a eu de cesse d’y insister notamment avec ses cinq conseils qui devraient être transcrites en lettres dorées sur tous les registres de la morale :
– Dire la vérité en toutes circonstances même sous la pression (gor du tiit ba fen)
– Assumer en toutes circonstances et fidèlement ses amitiés et ses connaissances (gor du xam fakk)
– Rester soi-même en toutes circonstances (gor du soppeeku)
– Ne jamais voler même dans l’extrême pauvreté (gor du niakk ba sacc)
– Ne jamais abandonner celui à qui un pacte nous est lié (gor du japp bayyi)
Sans y parvenir de manière exhaustive, cette contribution visait à rappeler les enseignements de Cheikh El Hadji Malick Sy et de l’école de Tivaouane en tant que viatique d’une jeunesse qui s’interroge sur son présent et préoccupée par son avenir. Surtout pour qu’elle n’oublie pas son héritage !
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