Seule la spiritualité a cette capacité de s’éterniser par des moyens la plupart du temps, insaisissables. La toute nouvelle mosquée construite sur fonds libyens, flanquée, sans une ride historique, à la sortie de la vieille ville, sur la route de Hamdallaye, n’avait pas le charme de la zawiya des Tall à quelques pas du fleuve Niger bien que bombardée par les canons d’Archinard. Quel nom exotique si, seulement, l’on admettait que l’exotisme ne peut être à sens unique ! Pourtant sa statue, brouillant le décor tropical, avec ses couleurs non assorties au paysage et à l’ambiance indescriptible de Ségou, trône arrogamment au bord du grand fleuve, Djoliba, comme l’appellent ici les autochtones, au grand dam, peut-être, des explorateurs dont le souvenir est, à jamais, enseveli sous le limon.
A la question d’un demandeur de route perdu dans sa quête de traces, de savoir s’il y avait une Zawiya Tijaniyya dans la cité, un badaud, surpris par une telle ignorance, asséna la réponse qui rassure la logique historique ainsi rétablie : toutes les mosquées ici sont des Zawâyâ d’al-Tijânî…
Rendez-vous était donc pris pour la prière du matin ! Après la prière dirigée par un descendant d’Al-Foutiyyou, le drap blanc, sorti d’un sac de tissu blanc, jalousement gardé à travers les années qui l’ont jauni sans le souiller, se déroula pour décorer le sol de la mosquée snobant ses lumières électriques et prête à accueillir les illuminations célestes : Fatiha, Istighfâr… puis la Salâtul Fâtihi dont l’air, bien que nouveau, n’en changea point le goût.
Elle retentissait la Yâqutat al-Farîdah (autre appellation de la salât al-Fâtih), agrémentant les oreilles en illuminant les cœurs des disant comme des entendant, déchirant le calme matinal. Extraordinaire ? Non ! C’était plutôt quotidien à Ségou ! Les canons d’Archinard, eux, s’étaient tus depuis belle lurette. C’est bien pour cela qu’il lui fallait ériger une statuette pour ne pas être rangé aux oubliettes.
Les chapelets, toujours au même rythme et inlassable cadence, s’égrènent imperturbables comme les invocations des descendants des Toucouleurs, mêlés aux Bozo, dogons et autres Bambaras, suivaient leur cours ; tel le Niger se pavanait dans la savane, traversant les âges et nourrissant les mémoires.
Décidément, cet héritage immatériel mais vivant était plus résistant au temps que les statues et les prouesses d’un jour, exagérément gravées sur la pierre, cherchant, trop fièrement, l’éternité, mais se sachant condamnée à l’érosion. C’est peut-être La leçon de Ségou aux passants et aux habitants qui en gardent la mémoire. A Ségou, le conquérant est venu, n’a même pas eu le temps de voir et l’humilité d’apprendre bien qu’ayant vécu pour un moment désormais révolu. Mais le nom, le souvenir et surtout l’oeuvre des Almamy, d’Al-Foutiyyou comme d’Ahmadou Cheikhou lui ont bien survécu. N’était-ce pas cela l’essentiel ?
QUELQUES PHOTOS DE BANDIAGARA ET DE DEGUIMBERE
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