1- L’AURORE D’UN GRAND DESTIN.
Al Maktoum a été un interlocuteur privilégié pour toutes les générations qui ont croisé son itinéraire. De la « garde rapprochée » de son père qui incarnait l’orthodoxie religieuse et confrérique aux intellectuels « fougueux » issus de l’Ecole Occidentale en passant par l’intelligentsia musulmane « réformiste » sortie des Universités arabes. Et j’en passe…
Ayant grandi dans un milieu profondément religieux, il a fait ses humanités dans un cadre familial où l’érudition était la première arme de jeunesse pour s’adapter et se distinguer.
Les quatre appuis de sa formation de jeunesse, avec son frère Serigne Mansour Sy, ont été pour l’essentiel assurés par des érudits de renom qui constituaient le pré carré intellectuel agissant autour du Calife. Encyclopédiste confirmé, celui-ci apportait les synthèses décisives, les dernières nuances pour que les leçons du jour soient assimilées sans nuages.
Sa précocité et sa curiosité intellectuelle ont vite attiré l’attention de ses maîtres formateurs en prenant les allures d’un désir et d’une liberté d’étude qui allaient au-delà du champ de formation académique en vigueur dans l’école familiale.
Il surprenait parfois le Calife en lui demandant d’accéder à certains ouvrages sur la « Voie du Cheikh » et estampillés sous le « Sceau de la confidentialité » alors que les grands Initiés et autres grands « Muqaddam » n’y étaient pas autorisés.
Il s´agissait notamment du « Testament spirituel » de la Confrérie, co – signé par le Grand Aboul Abass et le Vaillant Cheikh El Haj Omar, sous le double titre emblématique de « Machaahid » et de « Maqaacid » * (voir traduction en bas texte).
Il réussit également une performance inhabituelle en ayant écrit son premier ouvrage littéraire à l’âge de quatorze ans et intitulé « la psychologie du jeune marabout ».
Ses familiarités avec le cosmopolitisme de la Confrérie, avec ses érudits de renom, sont bien connues et, cela, dès son plus jeune âge. Son goût de l’apprentissage, sa vivacité intellectuelle, son ancrage sur les principes novateurs de la pensée de Maodo aussi bien dans le « curage » des préceptes canoniques que dans le remodelage des « rouages » confrériques, ses passes d’armes incessants avec les Aînés sur des aspects sensibles de la rhétorique doctrinale… ont façonné ce compagnonnage durable où l’espérance, la fascination pour le jeune prodige , finirent par l’emporter sur le doute et la réticence.
Plus d’une confidence, plus d’une confiance ont surgi de ce brassage d’un autre ordre.
2 – LE MANTEAU ET LA PLUME.
Le turbo de son ascension fulgurante est incontestablement lié à sa proximité avec son père, Serigne Babacar Sy, qui était aussi son mentor et Maître spirituel. Cette proximité, qui avait des allures d’allégeance fusionnelle d’une part et de confiance sans faille de l’autre, allait susciter une aventure d’exception pour le jeune prodige.
En effet, le Calife va investir tout son potentiel intellectuel, « ses prérogatives spirituelles et mystiques » pour porter au pinacle, ce disciple dévoué qui a déroulé tant de sacrifices, d’énergie et d’abnégation pour que l´image iconique du Saint Homme ne soit ni écornée, ni transgressée.
Plus d’une fois et au péril de sa vie, il a endossé l’attitude du martyr face à l’autorité coloniale, chaque fois que celle-ci, par des subterfuges administratives, voulait gêner les initiatives du Calife dans l’exécution de ses pieux projets.
Serigne Babacar Sy (rta) ne cessait de lui répéter : « ton Grand-père aurait une énorme fierté de te choisir comme interlocuteur privilégié si vos chemins s’étaient croisés puisque tu incarnes mieux ses principes que nous ses contemporains ».
Maodo était, en effet, son Maître à penser, sa source et sa figure de référence au point que quelques grandes figures du landerneau familial, qui ont vécu avec le Vénère Guide, n’hésitaient à faire un profilage « troublant» sur des similitudes caractérielles, rattachant le jeune prodige à son Éminent Grand-père.
Le réquisitoire implacable de Seydi El Haj Malick contre les traditions de notre pays, a eu très tôt, un impact majeur sur ce jeune disciple et lui donna l’opportunité de faire une radioscopie de nos us et coutumes dont les goulots d’étranglement constituent une source d’obscurantisme, de blocage si l’on aspire à faire triompher certaines valeurs émancipatrices contre les superstitions et les éléments de recul qui agitent notre société.
Son caractère anticonformiste tant redouté est sans doute né de cette incorruptibilité à céder au chantage combiné d´institutions et de systèmes tapis dans l´ombre ou encore d´habiles manœuvriers cherchant à briser son élan.
Et ce n’est pas fortuit si son livre le plus connu, « l’Inconnu de la nation » est un ouvrage intégral en arabe consacré à la vie et à l’œuvre du Sage de Ndiarndé. Il y fait d’emblée des révélations sur l’assassinat du père de Maodo dont les causes profondes restent inconnues du grand public sénégalais. Et rien n’est laissé au hasard dans son livre …
Peut-être sa manière à lui, de livrer une version fidèle sur l’itinéraire du Guide, épurée de compromissions et de parti pris, afin que l’opinion, les disciples, soient édifiés sur sa vie et sa valeur réelle, sur son véritable visage, loin des légendes et des récits dénaturés, farfelus ou caricaturés qu’on colle souvent à la vie de nos saints Guides.
Sa négation des vérités et des certitudes distillées par l’opinion de masse est une autre dimension de sa proximité intellectuelle avec Maodo dans sa croisade contre les idées reçues. En effet, l’opinion publique qui semble faire le beau temps et la tempête sur toutes les sphères de notre espace publique est souvent le prête nom de toutes les rumeurs, des présomptions, des soupçons voire des suspicions dont se prélassent, avec un appétit dévorant, tous ceux qui cherchent à avoir gain de cause sans en détenir les preuves ou les éléments matériels. C’est le canevas des « on dit » sans que cela soit vérifiable. Son pouvoir réside dans la caricature, la stigmatisation voire l’intimidation.
Plus d’un individu de bonne foi est tombé sous le couperet au nom de trouble à l’ordre de l’opinion sans que le verdict rendu soit matérialisé par des faits de vérité ou de culpabilité.
Durant sa passionnante vie, Al Maktoum a sévèrement subi les contrecoups et la vindicte de cette terrible chape de plomb sans que cela n’entame sa certitude sur les valeurs immaculées et les vérités sacralisées qui ont guidé son action.
L’emblématique concession du « Manteau » fut un moment crucial dans la vaste partition que furent les relations entre le Cheikh et son Vénère Maître.
« Je te le dédie comme ton Grand-père l’avait fait pour moi » avait dit Cheikhoul Khalifa à Al Maktoum en lui remettant le capuchon que tant de chefs spirituels ont offert à leur dauphin à titre de récompense et de reconnaissance. Ce qui vaut plus qu’un stratagème de succession … car il s’agit de remettre l’héritage entre de bonnes mains pour que la continuité soit efficacement garantie.
Dans l’iconographie musulmane soufie, l’évocation du manteau, dans sa version sublime, représente une plus-value symbolique inestimable pour ceux qui ont accédé aux distinctions ou aux seuils de sainteté suprêmes qui les placent au firmament de la hiérarchie mystique. C’est aussi un symbole, témoin d’une transmission de pouvoirs, d’un transfert de l’autorité dans l’ordre de succession tel qu´inscrit dans le maillon devant intégrer le chaînon.
La prééminence du «Burd» a été chantée et immortalisée par Imam Bousri dans son vibrant poème consacré au Prophète dont le titre évocateur de « Burd al Madih » (Le Manteau de Louange), est la référence incontournable pour ceux qui cherchent une haute inspiration dans le Panthéon de glorification du Médiateur universel.
« Mouhamad est le Seigneur des deux Mondes, des deux catégories de créatures, des deux divisions de la race humaine, arabe comme non arabe ».
…
« C’est l’ami de Dieu dont on espère l´intercession le jour de la résurrection contre tous les périls imprévus ».
Ces vers d‘espérance habitent notre avenir, portent et éclairent notre destin dans le sens d’une rédemption éternelle.
Serigne Cheikh porte le nom de l’Éminent et Vénéré Aboul Abass Ahmad Tijany, fondateur de la Confrérie d’obédience mystique, la « Tijaniya ». Aux dires de Serigne Babacar Sy, son père, c’est le grand Mystique lui-même qui a jeté son dévolu sur son fils et lui a ordonné de le baptiser à son nom. Et cela n’a pas été vain …
Ce choix porte en lui les éléments distinctifs d’une forme d’intronisation anticipée, de ce que sera son Destin spirituel dans la voie mystique et confrérique tracée par « Cheikh des cheikh ».
En guise de reconnaissance, Al Maktoum fait d’une pierre deux coups en célébrant cette bénédiction par des vers tout aussi bénis :
« Ma venue au monde a été agréée et placée sous les auspices de la Hadra Tijaniya
Car mon nom dérive d’un ordre du Fondateur de la Voie.
Qu´Allah rétribue à sa juste valeur, l’Exécutant de cette recommandation ».
Promu dans le cercle restreint des grands poètes du giron familial, il signa dans le noble art de la plume l’un des plus beaux palmarès, toutes générations confondues. Quelques-unes de ses odes très en vogue sont parmi les plus lues et les plus chantées dans le panorama de la poésie arabe sénégalaise qui ne manque pas de grands talents.
A fort contenu spirituel, son inspiration se situe d’abord dans l’étroite ligne de la grande poésie arabo musulmane de glorification des Saints, d’exaltation du Prophète Mouhamad en tant que Médiateur universel mais également, d’exploration des merveilles cosmiques comme expression éminente et immanente de la Grandeur divine.
«TAAHAT», «FA ILAÏKA », «ABOUNA ABOUBAKRINE» parmi tant d’autres, et plus récemment « NAHNOU AWLADOU TIDIANI », résonnent dans le cœur des fidèles et des fins adeptes de la belle plume comme une sorte de souffle et de bénédiction qui nous rapprochent de nos valeureux Saints et de l’ordre mystique qu’ils incarnent.
Son œuvre poétique et littéraire ne se limite pas à cette belle collection, ce beau chapelet de panégyriques et de glorification mais elle contient aussi des réflexions sur notre modernité et ses tendances « suicidaires » (AL GHARB MAJNOUNA), sur les tentations, les aliénations qui risquent de perdre notre jeunesse (EXHORTATIONS À LA JEUNESSE), etc.
Ses diatribes oratoires, ses causeries publiques et ses métaphores sont devenues une source de seconde mémoire pour bon nombre de sénégalais. Pas un jour qu’il ne soit cité, en public comme dans les conversations privées, pour rappeler le bien fondé et l’opportunité de ses sages propos dans un pays en crises de repères.
3 – L’UNIVERSALISTE, L’HOMME MULTIDIMENSIONNEL.
L’on ne saurait toutefois résumer son parcours à cette propulsion survoltée que de Saints Hommes comblés ont planifiée.
Humaniste de source et de vocation, homme de dialogue et de rupture à la fois ; critique, anticonformiste et imprévisible, Al Maktoum ne pouvait nullement s’auto satisfaire de ce plateau de rêve que les Aînés lui ont tracé. Sa vocation allait au-delà de ce destin emblématique que tant de Sommités lui ont choisi.
Sa soif intellectuelle, dans un contexte colonial où les idées européo centristes commençaient à gagner les esprits, lui offrit naturellement l’opportunité de s’ouvrir sur la langue de Molière même si ce nouveau défi allait susciter un tollé dans le bastion de l’orthodoxie familiale.
Ses prouesses autodidactiques sur la langue de l’occupant lui permirent de forger des outils performants pour mieux faire face à la politique coloniale de subordination culturelle et d’ouvrir une nouvelle voie de conscientisation des jeunes recrus de l’école coloniale sur l’actualité, la contemporanéité et la pérennité du message de l’Islam.
La philosophie et l’esprit des Lumières, les nouvelles sciences et les innovations qu’elles ont suscitées, contribuèrent à élargir son horizon intellectuel et lui offrirent des armes redoutables pour affronter les uns et les autres.
Cette double appartenance à une culture religieuse séculaire et une modernité conquérante va façonner son image et révolutionner son environnement.
Troquer le boubou traditionnel, inamovible accoutrement dans les milieux maraboutiques, par un costume sur mesure très prisé dans les milieux de la haute couture, était le panache chez ce leader d’un genre nouveau et qui exerçait, à la fois, une émule auprès des jeunes générations et une crainte vis-à-vis de certains aînés qui voyaient dans ses nouvelles attaches une source de corruption imprévisible.
Assumer ses choix et ses implications dans le landerneau politique était doublement perçu : une aventure de trop pour ceux qui supposaient qu’un religieux avait d’autres chats à fouetter que de briguer le suffrage universel à des fins inavouées ou ceux qui entrevoyaient dans son geste l’emblème d’un nouveau guide religieux à la fois modèle, visionnaire et patriote .
Il disait à Serigne Chaïbatou, son professeur de littérature classique, qui voulait le contraindre à cesser d’aller au cinéma que cette interdiction équivalait, chez lui, à cesser d’apprendre les poèmes de Moutanabbi, de Imroul Qaïs ou de tant de sommités de la poésie arabe classique.
En effet, pour cet universaliste accompli, l’expression poétique et l’art visuel étaient deux chaînons complémentaires dans l’élaboration de notre imaginaire collectif.
Cette multipolarité, qui est un trait dominant de sa personnalité, le rend très « attractif » et a bien alimenté son compte dans la construction et l’incarnation des universalités. Et comme nous l’avons dit tantôt, l’homme était résolument humaniste de cœur et d’esprit. Cette facette incontournable se dépeint dans ses idées, son action et son profil éthique.
Al Maktoum a été un interlocuteur privilégié pour toutes les générations qui ont croisé son itinéraire. De la « garde rapprochée » de son père qui incarnait l’orthodoxie religieuse et confrérique aux intellectuels « fougueux » issus de l’Ecole Occidentale en passant par l’intelligentsia musulmane « réformiste » sortie des Universités arabes. Et j’en passe…
Ayant grandi dans un milieu profondément religieux, il a fait ses humanités dans un cadre familial où l’érudition était la première arme de jeunesse pour s’adapter et se distinguer.
Les quatre appuis de sa formation de jeunesse, avec son frère Serigne Mansour Sy, ont été pour l’essentiel assurés par des érudits de renom qui constituaient le pré carré intellectuel agissant autour du Calife. Encyclopédiste confirmé, celui-ci apportait les synthèses décisives, les dernières nuances pour que les leçons du jour soient assimilées sans nuages.
Sa précocité et sa curiosité intellectuelle ont vite attiré l’attention de ses maîtres formateurs en prenant les allures d’un désir et d’une liberté d’étude qui allaient au-delà du champ de formation académique en vigueur dans l’école familiale.
Il surprenait parfois le Calife en lui demandant d’accéder à certains ouvrages sur la « Voie du Cheikh » et estampillés sous le « Sceau de la confidentialité » alors que les grands Initiés et autres grands « Muqaddam » n’y étaient pas autorisés.
Il s´agissait notamment du « Testament spirituel » de la Confrérie, co – signé par le Grand Aboul Abass et le Vaillant Cheikh El Haj Omar, sous le double titre emblématique de « Machaahid » et de « Maqaacid » * (voir traduction en bas texte).
Il réussit également une performance inhabituelle en ayant écrit son premier ouvrage littéraire à l’âge de quatorze ans et intitulé « la psychologie du jeune marabout ».
Ses familiarités avec le cosmopolitisme de la Confrérie, avec ses érudits de renom, sont bien connues et, cela, dès son plus jeune âge. Son goût de l’apprentissage, sa vivacité intellectuelle, son ancrage sur les principes novateurs de la pensée de Maodo aussi bien dans le « curage » des préceptes canoniques que dans le remodelage des « rouages » confrériques, ses passes d’armes incessants avec les Aînés sur des aspects sensibles de la rhétorique doctrinale… ont façonné ce compagnonnage durable où l’espérance, la fascination pour le jeune prodige , finirent par l’emporter sur le doute et la réticence.
Plus d’une confidence, plus d’une confiance ont surgi de ce brassage d’un autre ordre.
2 – LE MANTEAU ET LA PLUME.
Le turbo de son ascension fulgurante est incontestablement lié à sa proximité avec son père, Serigne Babacar Sy, qui était aussi son mentor et Maître spirituel. Cette proximité, qui avait des allures d’allégeance fusionnelle d’une part et de confiance sans faille de l’autre, allait susciter une aventure d’exception pour le jeune prodige.
En effet, le Calife va investir tout son potentiel intellectuel, « ses prérogatives spirituelles et mystiques » pour porter au pinacle, ce disciple dévoué qui a déroulé tant de sacrifices, d’énergie et d’abnégation pour que l´image iconique du Saint Homme ne soit ni écornée, ni transgressée.
Plus d’une fois et au péril de sa vie, il a endossé l’attitude du martyr face à l’autorité coloniale, chaque fois que celle-ci, par des subterfuges administratives, voulait gêner les initiatives du Calife dans l’exécution de ses pieux projets.
Serigne Babacar Sy (rta) ne cessait de lui répéter : « ton Grand-père aurait une énorme fierté de te choisir comme interlocuteur privilégié si vos chemins s’étaient croisés puisque tu incarnes mieux ses principes que nous ses contemporains ».
Maodo était, en effet, son Maître à penser, sa source et sa figure de référence au point que quelques grandes figures du landerneau familial, qui ont vécu avec le Vénère Guide, n’hésitaient à faire un profilage « troublant» sur des similitudes caractérielles, rattachant le jeune prodige à son Éminent Grand-père.
Le réquisitoire implacable de Seydi El Haj Malick contre les traditions de notre pays, a eu très tôt, un impact majeur sur ce jeune disciple et lui donna l’opportunité de faire une radioscopie de nos us et coutumes dont les goulots d’étranglement constituent une source d’obscurantisme, de blocage si l’on aspire à faire triompher certaines valeurs émancipatrices contre les superstitions et les éléments de recul qui agitent notre société.
Son caractère anticonformiste tant redouté est sans doute né de cette incorruptibilité à céder au chantage combiné d´institutions et de systèmes tapis dans l´ombre ou encore d´habiles manœuvriers cherchant à briser son élan.
Et ce n’est pas fortuit si son livre le plus connu, « l’Inconnu de la nation » est un ouvrage intégral en arabe consacré à la vie et à l’œuvre du Sage de Ndiarndé. Il y fait d’emblée des révélations sur l’assassinat du père de Maodo dont les causes profondes restent inconnues du grand public sénégalais. Et rien n’est laissé au hasard dans son livre …
Peut-être sa manière à lui, de livrer une version fidèle sur l’itinéraire du Guide, épurée de compromissions et de parti pris, afin que l’opinion, les disciples, soient édifiés sur sa vie et sa valeur réelle, sur son véritable visage, loin des légendes et des récits dénaturés, farfelus ou caricaturés qu’on colle souvent à la vie de nos saints Guides.
Sa négation des vérités et des certitudes distillées par l’opinion de masse est une autre dimension de sa proximité intellectuelle avec Maodo dans sa croisade contre les idées reçues. En effet, l’opinion publique qui semble faire le beau temps et la tempête sur toutes les sphères de notre espace publique est souvent le prête nom de toutes les rumeurs, des présomptions, des soupçons voire des suspicions dont se prélassent, avec un appétit dévorant, tous ceux qui cherchent à avoir gain de cause sans en détenir les preuves ou les éléments matériels. C’est le canevas des « on dit » sans que cela soit vérifiable. Son pouvoir réside dans la caricature, la stigmatisation voire l’intimidation.
Plus d’un individu de bonne foi est tombé sous le couperet au nom de trouble à l’ordre de l’opinion sans que le verdict rendu soit matérialisé par des faits de vérité ou de culpabilité.
Durant sa passionnante vie, Al Maktoum a sévèrement subi les contrecoups et la vindicte de cette terrible chape de plomb sans que cela n’entame sa certitude sur les valeurs immaculées et les vérités sacralisées qui ont guidé son action.
L’emblématique concession du « Manteau » fut un moment crucial dans la vaste partition que furent les relations entre le Cheikh et son Vénère Maître.
« Je te le dédie comme ton Grand-père l’avait fait pour moi » avait dit Cheikhoul Khalifa à Al Maktoum en lui remettant le capuchon que tant de chefs spirituels ont offert à leur dauphin à titre de récompense et de reconnaissance. Ce qui vaut plus qu’un stratagème de succession … car il s’agit de remettre l’héritage entre de bonnes mains pour que la continuité soit efficacement garantie.
Dans l’iconographie musulmane soufie, l’évocation du manteau, dans sa version sublime, représente une plus-value symbolique inestimable pour ceux qui ont accédé aux distinctions ou aux seuils de sainteté suprêmes qui les placent au firmament de la hiérarchie mystique. C’est aussi un symbole, témoin d’une transmission de pouvoirs, d’un transfert de l’autorité dans l’ordre de succession tel qu´inscrit dans le maillon devant intégrer le chaînon.
La prééminence du «Burd» a été chantée et immortalisée par Imam Bousri dans son vibrant poème consacré au Prophète dont le titre évocateur de « Burd al Madih » (Le Manteau de Louange), est la référence incontournable pour ceux qui cherchent une haute inspiration dans le Panthéon de glorification du Médiateur universel.
« Mouhamad est le Seigneur des deux Mondes, des deux catégories de créatures, des deux divisions de la race humaine, arabe comme non arabe ».
…
« C’est l’ami de Dieu dont on espère l´intercession le jour de la résurrection contre tous les périls imprévus ».
Ces vers d‘espérance habitent notre avenir, portent et éclairent notre destin dans le sens d’une rédemption éternelle.
Serigne Cheikh porte le nom de l’Éminent et Vénéré Aboul Abass Ahmad Tijany, fondateur de la Confrérie d’obédience mystique, la « Tijaniya ». Aux dires de Serigne Babacar Sy, son père, c’est le grand Mystique lui-même qui a jeté son dévolu sur son fils et lui a ordonné de le baptiser à son nom. Et cela n’a pas été vain …
Ce choix porte en lui les éléments distinctifs d’une forme d’intronisation anticipée, de ce que sera son Destin spirituel dans la voie mystique et confrérique tracée par « Cheikh des cheikh ».
En guise de reconnaissance, Al Maktoum fait d’une pierre deux coups en célébrant cette bénédiction par des vers tout aussi bénis :
« Ma venue au monde a été agréée et placée sous les auspices de la Hadra Tijaniya
Car mon nom dérive d’un ordre du Fondateur de la Voie.
Qu´Allah rétribue à sa juste valeur, l’Exécutant de cette recommandation ».
Promu dans le cercle restreint des grands poètes du giron familial, il signa dans le noble art de la plume l’un des plus beaux palmarès, toutes générations confondues. Quelques-unes de ses odes très en vogue sont parmi les plus lues et les plus chantées dans le panorama de la poésie arabe sénégalaise qui ne manque pas de grands talents.
A fort contenu spirituel, son inspiration se situe d’abord dans l’étroite ligne de la grande poésie arabo musulmane de glorification des Saints, d’exaltation du Prophète Mouhamad en tant que Médiateur universel mais également, d’exploration des merveilles cosmiques comme expression éminente et immanente de la Grandeur divine.
«TAAHAT», «FA ILAÏKA », «ABOUNA ABOUBAKRINE» parmi tant d’autres, et plus récemment « NAHNOU AWLADOU TIDIANI », résonnent dans le cœur des fidèles et des fins adeptes de la belle plume comme une sorte de souffle et de bénédiction qui nous rapprochent de nos valeureux Saints et de l’ordre mystique qu’ils incarnent.
Son œuvre poétique et littéraire ne se limite pas à cette belle collection, ce beau chapelet de panégyriques et de glorification mais elle contient aussi des réflexions sur notre modernité et ses tendances « suicidaires » (AL GHARB MAJNOUNA), sur les tentations, les aliénations qui risquent de perdre notre jeunesse (EXHORTATIONS À LA JEUNESSE), etc.
Ses diatribes oratoires, ses causeries publiques et ses métaphores sont devenues une source de seconde mémoire pour bon nombre de sénégalais. Pas un jour qu’il ne soit cité, en public comme dans les conversations privées, pour rappeler le bien fondé et l’opportunité de ses sages propos dans un pays en crises de repères.
3 – L’UNIVERSALISTE, L’HOMME MULTIDIMENSIONNEL.
L’on ne saurait toutefois résumer son parcours à cette propulsion survoltée que de Saints Hommes comblés ont planifiée.
Humaniste de source et de vocation, homme de dialogue et de rupture à la fois ; critique, anticonformiste et imprévisible, Al Maktoum ne pouvait nullement s’auto satisfaire de ce plateau de rêve que les Aînés lui ont tracé. Sa vocation allait au-delà de ce destin emblématique que tant de Sommités lui ont choisi.
Sa soif intellectuelle, dans un contexte colonial où les idées européo centristes commençaient à gagner les esprits, lui offrit naturellement l’opportunité de s’ouvrir sur la langue de Molière même si ce nouveau défi allait susciter un tollé dans le bastion de l’orthodoxie familiale.
Ses prouesses autodidactiques sur la langue de l’occupant lui permirent de forger des outils performants pour mieux faire face à la politique coloniale de subordination culturelle et d’ouvrir une nouvelle voie de conscientisation des jeunes recrus de l’école coloniale sur l’actualité, la contemporanéité et la pérennité du message de l’Islam.
La philosophie et l’esprit des Lumières, les nouvelles sciences et les innovations qu’elles ont suscitées, contribuèrent à élargir son horizon intellectuel et lui offrirent des armes redoutables pour affronter les uns et les autres.
Cette double appartenance à une culture religieuse séculaire et une modernité conquérante va façonner son image et révolutionner son environnement.
Troquer le boubou traditionnel, inamovible accoutrement dans les milieux maraboutiques, par un costume sur mesure très prisé dans les milieux de la haute couture, était le panache chez ce leader d’un genre nouveau et qui exerçait, à la fois, une émule auprès des jeunes générations et une crainte vis-à-vis de certains aînés qui voyaient dans ses nouvelles attaches une source de corruption imprévisible.
Assumer ses choix et ses implications dans le landerneau politique était doublement perçu : une aventure de trop pour ceux qui supposaient qu’un religieux avait d’autres chats à fouetter que de briguer le suffrage universel à des fins inavouées ou ceux qui entrevoyaient dans son geste l’emblème d’un nouveau guide religieux à la fois modèle, visionnaire et patriote .
Il disait à Serigne Chaïbatou, son professeur de littérature classique, qui voulait le contraindre à cesser d’aller au cinéma que cette interdiction équivalait, chez lui, à cesser d’apprendre les poèmes de Moutanabbi, de Imroul Qaïs ou de tant de sommités de la poésie arabe classique.
En effet, pour cet universaliste accompli, l’expression poétique et l’art visuel étaient deux chaînons complémentaires dans l’élaboration de notre imaginaire collectif.
Cette multipolarité, qui est un trait dominant de sa personnalité, le rend très « attractif » et a bien alimenté son compte dans la construction et l’incarnation des universalités. Et comme nous l’avons dit tantôt, l’homme était résolument humaniste de cœur et d’esprit. Cette facette incontournable se dépeint dans ses idées, son action et son profil éthique.
Il ne cessait de répéter « qu’être un vrai homme nous enrichit plus que d’être un roi ou un apôtre » ou encore « je préfère incarner les vertus de mon temps plutôt que de véhiculer sans discernement, les valeurs de mes ancêtres ».
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« Machaahid » indique tout ce qui peut se rapporter à l’Apparent (même s’il est caché), à l’Imminent, etc…
« Maqaacid » évoque les aspirations, les intentions en ce qu’elles nous rapprochent des finalités.
Tivaouane, le 14.03.2023
Mouhammadou Habib Sy ibn Al Maktoum
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