Les paroles s’envolent, dit-on, mais les écrits demeurent. Affectueusement appelé Mame Abdou, il a été un modèle accompli du disciple de la tijânia, consumé par l’amour du Prophète et tendu vers la proximité avec Dieu par le biais de l’élégance morale au sein des hommes. Enseignant-chercheur au département d’arabe de l’Université de Dakar et responsable du laboratoire Islam, sociétés et mutations de l’école doctorale « Etudes sur l’homme et la société (Ethos) », le Pr Abdoul Aziz Kébé a porté son regard d’expert sur l’œuvre d’un personnage qui n’a jamais rien fait d’ordinaire, même s’il ne s’est jamais aventuré dans l’extraordinaire.
En effet, précise l’auteur : « La motivation essentielle pour cette œuvre a été l’amour. L’amour des sénégalais et sénégalaises, dont moi-même, à l’endroit de ce parangon de la paix et de l’harmonie des cœurs. L’amour et rien d’autre ».
L’amour lui a permis de présenter à travers cet ouvrage le « régulateur social hors pair » dans toute sa dimension spirituelle qui constitue, plus que jamais, un bréviaire pour les générations montantes. Le message du Saint de Diacksao (lieu de naissance de Mame Abdou) est intemporel. N’est ce pas lui qui disait que la « diversité des minarets n’altère pas l’unicité du message d’Allah » ? En présentant son ouvrage, le Pr Kébé a soutenu que Mame Abdou fut un grand homme qui a marqué le Sénégal par son enseignement sur le plan religieux, spirituel et politique. Il a assaini les mœurs politiques avec la mise en place des institutions de régulation, des facteurs de dialogue entre les différents partis politiques du pays. « C’est pourquoi, a-t-il poursuivit, je dis qu’il a été la diagonale qui relie deux points qui semblent être opposés, alors que justement, il a une possibilité de rencontre entre ces deux points par une ligne diagonale ». L’auteur n’a pas voulu présenter seulement El hadji Abdoul Aziz Sy comme un homme politique même s’il est convaincu que ce dernier est un homme politique, dans le sens où il s’est toujours intéressé à ce qui pouvait assurer la sécurité, l’équilibre et l’entente dans la société sénégalaise. Toujours est-il que tous les Sénégalais savaient cette dimension politique du sage de Diacksao.
Pour se faire, le Pr Kébé a interrogé d’abord la mort. C’est après le rappel à Dieu de Mame Abdou que l’auteur s’est posé la question suivante en même temps que tous ses concitoyens : « les Sénégalais auront-ils quelqu’un qui prendrait la place de l’illustre disparu ? Est-ce que sa mort est une fin à son œuvre » ? Dès lors, il s’est résolument engagé à revisiter les enseignements de certains soufis. Abdoul Aziz Kébé s’est rendu compte que la mort est plutôt une révélation qu’un anéantissement. En ce qui concerne Mame Abdou, il s’agit d’une révélation dans une nouvelle existence qui constitue une somme d’efforts émanant de sa famille, de ses frères, de son père et de la société sénégalaise.
« Mame Abdou a été le symbole vivant de la dignité à toutes les circonstances. Il pouvait être très familier avec les gens sans être banal. Il a suivi les enseignements de ses ancêtres en se disant que l’homme digne ne vole pas, ne ment pas, ne fait pas du trafic d’influence pour occuper un poste, entre autres ». En plus, le saint homme avait mis la loyauté au cœur de la dignité humaine. Car, la loyauté reste un élément important dans nos amitiés, engagements et compagnonnages. Toutefois, le manque de loyauté entre les hommes délie la société parce que du jour au lendemain, les repères bougent et c’est la décadence. L’auteur a exploré l’autre grande qualité d’El hadji Abdoul Aziz Sy qui était, sans nul doute, la pureté de son cœur d’où l’appellation « dabbâkh » qui signifie « il est bien » en langue wolof. Le cœur est l’organe le plus important de perception des grandes réalités. Il est aussi le siège des sentiments et ressentiments. Mame Abdou était parvenu, avec l’appui d’Allah, à purifier son cœur dans la spiritualité. Car, le manque de loyauté, la jalousie, la méchanceté, la médisance et l’hypocrisie sont, plus que jamais, les fruits d’un cœur impur et malade qu’aucun médecin ne peut guérir. L’auteur a analysé dans l’ouvrage comment Mame Abdou avait porté son attention sur le cœur pour le purifier de façon à ce que cet organe vital puisse être habité par les grandes vertus notamment l’éthique. Il s’y ajoute que le salut de toute société dépend du comportement de ses gouvernants et oulémas. Ils sont les deux ventricules de ce cœur que Mame Abdou s’était toujours battu à purifier. Ainsi, à travers cet ouvrage inédit, le Pr Abdoul Aziz Kébé a le mérite de revivifier le message intemporel d’un érudit de Dieu en l’occurrence, Serigne Abdoul Aziz Sy « Dabbâkh ». Il a ouvert aussi une large fenêtre sur la valeur de la spiritualité des femmes.