21 novembre 2024
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El-Hadj-Malick-Sy

Taçawuf (Soufisme) – Extrait « Ifhâm al-Munkir al-Jânî » de Seydil Hadj Malick Sy (rta) : Education « de l’aspiration et de l’état spirituels »

Exposé sur l’éducation spirituelle par le dessein (himma) qui est la base et la méthode par laquelle Mohammad avait éduqué ses compagnons.

Dans la conclusion de Qawâ’id at-taçawwuf de notre maître Zarrûq « notre maître Abû al-‘Abbas al-Hadrami a dit que l’éducation spirituelle par « içtilâh » (convention) n’existe plus. On ne peut plus tirer profit que de l’éducation par la « himma » (dessein) et du « hâl » (état mystique). Conformez-vous alors au Coran et à la Sunna sans plus ni moins. Il en est de même pour le comportement à adopter vis-à-vis de Dieu, de l’âme et des hommes.

L’attitude à observer envers Dieu tourne autour de trois points :

S’acquitter des obligations
Éviter les interdits
S’en remettre aux décrets de Dieu.
Quant à l’attitude à prendre vis-à-vis de l’âme, elle consiste aussi en trois points :

Être impartial
Ne pas innocenter l’âme à tout prix
Se prémunir contre ses travers dans l’acquisition, la cession, les propos, l’abord et la préparation.
Pour ce qui est des rapports à entretenir avec les hommes, il s’articule autour de trois points :

Leur donner ce qui est leur dû
Se désintéresser de leurs biens

Éviter de leur causer des ressentiments, sauf s’il s’agit d’une vérité à dire ou à pratiquer obligatoirement ». Fin de citation.
Dans la « Hachiyâ » de Muhammad Ibn al-Qâsim al-Qâdirî, relativement au passage où l’auteur de « al-Burda » a dit : « Qu’est-ce qui repousse loin de moi ces ardeurs déchaînées … », il est dit que le vers fait allusion à deux avantages. Le premier est qu’il est indispensable d’avoir un maître initiateur qui serait savant et soufi réunissant les conditions que al-Junayd a évoquées lorsqu’il disait : « Nous n’avons pas reçu le soufisme par des « On a dit », « Il a dit », par des polémiques ou des disputes. Nous l’avons reçu par le biais de la faim, de la veille, de l’accomplissement continuel des œuvres pies ».

Ce maître est donc indispensable. Car l’âme peut souvent être amenée à vouloir quelque chose qui cause sa perdition et dont il faudrait la sauver par les soins d’un maître qui lui serait comme un médecin. Le deuxième avantage est que ce maître se raréfie à cette époque-ci, comme le laisse entendre l’interrogation : « Qu’est-ce qui repousse, etc … ? » jusqu’au passage où il dit : Mon maître ‘Abd al-Wahhâb ach-Cha’rânî a considéré dans son ouvrage intitulé « Mawâzîn al-qâsirîn », que ce maître n’existe plus.

En voici la teneur :

« Les voies d’initiation à Dieu, ainsi que les hommes, n’existent plus depuis longtemps. Maintenons-nous dans le vestibule du Jugement dernier ; en fait, nous voyons des walî initier et former des hommes jusqu’à leur mort, sans que nul parmi ces derniers n’éclose après eux. »

Il a aussi dit dans un autre passage de l’ouvrage : « La raison pour laquelle les gnostiques cessent d’aspirer à la dignité de Chaykh et à assurer l’éducation des hommes à cette époque-ci, est qu’ils sont témoins du foisonnement des épreuves qui s’abattent nuit et jour sur les hommes en affectant leur cœur et leur âme. Ils savent par ailleurs que la situation ne fait que régresser, à tel point que si quelqu’un parmi les maîtres voulait imposer son autorité à un disciple, il se relèverait impuissant à repousser loin du disciple une quelconque difficulté.

Il se pourrait même que cette difficulté se retourne contre le maître en guise de sommation, à cause de son comportement. La situation est difficile et elle ne cessera d’empirer jusqu’à l’avènement du Jugement Dernier.

Mais le point de vue à adopter est celui consigné dans « al-Ibrîz » et qui se résume comme suit : « un jurisconsulte avait interrogé le walî, notre maître ‘Abd al-‘Azîz ad-Dabbâg sur les propos du walî et pieux Sidi Zarrûq (Que Dieu l’agrée) : « L’éducation par la convention n’existe plus. Il ne reste plus que l’éducation par le Dessein (himma) et l’état (hâl). Conformez-vous donc au Coran et à la Sunna sans plus ni moins. » Il répondit que l’objectif de l’éducation est de purifier l’âme de ses travers dissipant les ténèbres qui l’environnent. Cette purification se fait tantôt par les soins de Dieu sans intermédiaire, comme ce fut le cas des trois premières générations qui suivirent Muhammad –qu’Allah prie sur lui et le salue. Tantôt, elle se fait par le truchement d’un maître confirmé, comme ce fut le cas après les trois premières générations. Le maître faisait entrer le disciple en retraite spirituelle, lui faisait invoquer Dieu et lui demandait d’être frugal. Ces consignes observées, tout l’esprit du disciple demeurait tourné vers Dieu et vers Son Envoyé. Ainsi fut la situation jusqu’au jour où la vérité et l’imposture se mêlèrent et que la lumière et les ténèbres se confondirent. Conséquemment, des hommes incompétents se mettent à éduquer ceux qui les sollicitent, des hommes en les faisant entrer en retraite spirituelle et en leur inculquant des noms à réciter dans un mauvais dessein et selon des objectifs contraires à la vérité (haqq). Il arrive même qu’ils y ajoutent des formules et des trucs leur assurant le service des esprits, propres à les exposer progressivement à la réplique imprévue de Dieu (makr Allâh). De telles pratiques étaient courantes à l’époque où vivait le maître Zarrûq et à l’époque où vivaient ses propres maîtres. Aussi leur apparaissait-il nécessaire d’initier les hommes, avec désintéressement et pour l’amour de Dieu et de son Envoyé, à se conformer au Coran et à la Sunna.

Cela par mesure de sauvegarde des hommes pouvant être portés à suivre les partisans du faux de suivre la vraie éducation. De fait, la lumière du Prophète restera à jamais, sa faveur restera totale et sa bénédiction, générale jusqu’au Jour du Jugement. Fin de citation.

Ainsi, comme des hommes incompétents s’érigeraient en maîtres pour éduquer les gens, d’autres hommes, à l’époque actuelle, s’érigent en éducateurs, en donnant le wird alors qu’on sait que les conditions que doit réunir l’initiateur, tel qu’il ressort des propos de l’’homme de Dieu al-Fâsî, dans l’une de ses « Réponses », consistent à se conformer à la Sunna du Prophète Muhammad en renonçant au monde et au prestige. Il a même laissé entendre que celui ne renonce pas au monde et au prestige n’est même pas apte à être un bon disciple. Et s’il ne peut pas être un bon disciple, il ne pourra pas être un initiateur (muqaddam) pour les initier au wird. Tels sont ses propos en substance.

Dans la « Hâchiya » de Sidî Gannûn sur le « Muwattâ » de l’Imâm Mâlik, et aussi dans le « Jâmi’ al-miyâr », dans une réponse d’Abû al-‘Abbâs al-Qabbâb (que Dieu l’ait en Sa Miséricorde), il est textuellement dit : « Il est étrange de voir quelqu’un finir sa vie dans ses investigations relatives aux Stations (maqâmât) et aux Fondements avant de tenter de s’acquitter des dettes d’ordre pécuniaire ou matériel qui pèsent sur ses épaules, et avant de chercher avec détermination à savoir quelles sont ses strictes obligations religieuses qui consistent à ne s’engager à faire ou à dire quoi que ce soit avant de savoir ce que Dieu en prescrit. Savoir d’abord ses obligations religieuses est une condition essentielle faisant l’unanimité des docteurs de la loi. En s’occupant pleinement de ses premiers devoirs, le fidèle n’aurait pas de temps à consacrer à quelqu’un d’autre. »

« Ifhâm al-Munkir al-Jânî » – Réduction au silence du dénégateur d’El Hadji Malick Sy (1815 – 1922)

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Que retenir de ce texte assez dense et déjà visiblement exprimé dans un esprit de synthèse ?

La présentation d’une méthode substitutive à la méthode classique d’enseignement qui était faite à la fin du 20° siècle par un successeur de l’Imâm el-Haddâd fait, en réalité, référence à une position bien plus ancienne, émise très officiellement par le Cheikh Zarrûq en tête de la conclusion de ses Qawâ’id sous l’autorité de son propre Maître, le Cheikh Abû al-‘Abbas al-Hadrami décédé en 895/1495. Dès cette époque puis pendant la période qui suivit, c’est-à-dire donc pendant plus des cinq cent ans qui s’écoulèrent depuis lors jusqu’à nos jours, il a donc été possible de distinguer régulièrement au sein du Taçawwuf, en quelque sorte à côté de la méthode d’enseignement classique que nous appellerons, pour notre part « conventionnelle » (tarbiyah bi-l-istilâh), une méthode substitutive, moins contraignante et plus adaptée aux capacités de chacun, que nous appellerons méthode » de l’aspiration spirituelle » (tarbiyah bi-l-himmah wa-l-hâl) 2

Affirmation, qui pourra présenter un caractère réellement paradoxal pour certains, d’une part de la nécessité du maître spirituel, reflètant le point de vue « classique » (Muhammad Ibn al-Qâsim al-Qâdirî), et d’autre part la disparition de tels maîtres (‘Abd al-Wahhâb ach-Charânî – « Mawâzîn al-qâsirîn », 2° moitié du 10° siècle de l’Hégire). On constate qu’il ne s’agit d’ailleurs pas là de faire part d’une grande nouveauté :

« Les voies d’initiation à Dieu, ainsi que les hommes, n’existent plus depuis longtemps. Maintenons-nous dans le vestibule du Jugement dernier ; en fait, nous voyons des walî initier et former des hommes jusqu’à leur mort, sans que nul parmi ces derniers n’éclose après eux. »

L’indication donnée par l’auteur laisse clairement penser qu’il s’agit là d’un état général qui n’est pas sensé varier notablement ou s’améliorer avant la fin des temps ; et le Cheikh Charanî de donner des précisions sur cet état de fait :

« La raison pour laquelle les gnostiques cessent d’aspirer à la dignité de Chaykh et à assurer l’éducation des hommes à cette époque-ci, est qu’ils sont témoins du foisonnement des épreuves qui s’abattent nuit et jour sur les hommes en affectant leur cœur et leur âme. Ils savent par ailleurs que la situation ne fait que régresser, à tel point que si quelqu’un parmi les maîtres voulait imposer son autorité à un disciple, il se relèverait impuissant à repousser loin du disciple une quelconque difficulté. » » 3

On comprend alors que le phénomène de raréfaction des Maîtres véritables provient bien du double constat qu’ils font eux-mêmes à cette époque de l’aggravation générale de conditions cycliques et de la survenue d’une phase nécessaire de dégénérescence à venir ; ils déclinent alors volontairement la possibilité d’endosser la fonction d’enseignement et la responsabilité qu’elle implique. Le caractère « inversé » de la situation, si caractéristique des temps cycliques ainsi que la dimension eschatologique déjà évoquée (« Maintenons-nous dans le vestibule du Jugement dernier ») sont exprimés par la gravité de ces paroles :

« Il se pourrait même que cette difficulté se retourne contre le maître en guise de sommation, à cause de son comportement. La situation est difficile et elle ne cessera d’empirer jusqu’à l’avènement du Jugement Dernier. »

Sur quoi se fondent donc les mines enjouées de ceux qui, parce qu’ils prétendent voir remplies les zawiyas du monde actuel de Maîtres accomplis, dénigrent le droit d’appliquer des modalités méthodiques adaptées aux conditions exceptionnelles des temps actuels, surtout lorsque celles-ci sont très souvent celles qui ont été, depuis longtemps, présentées par leurs propres Maîtres ? Et à qui donc profitent de telles positions irréalistes ?

Concernant les différentes méthodes adoptées en Islâm pour effectuer la purification de l’âme, le très grand Maître ‘Abd al-‘Azîz ad-Dabbâgh, toujours à partir de la même affirmation du Cheikh Zarrûq sous l’autorité de qui il se place donc également, distingue trois périodes, que nous faisons correspondre à ce qui nous est maintenant connu :
La période des « trois premières générations qui suivirent Muhammad –qu’Allah prie sur lui et le salue », dans laquelle le sulûk de faisait « par les soins de Dieu sans intermédiaire ».

La période de l’éducation conventionnelle (tarbiyah bi-l-istilâh), dans laquelle le travail initiatique s’effectuait « par le truchement d’un maître confirmé, comme ce fut le cas après les trois premières générations. Le maître faisait entrer le disciple en retraite spirituelle, lui faisait invoquer Dieu et lui demandait d’être frugal. Ces consignes observées, tout l’esprit du disciple demeurait tourné vers Dieu et vers Son Envoyé. »

La période de l’éducation » par l’aspiration spirituelle » (tarbiyah bi-l-himmah wa-l-hâl) qui débuta quand « la vérité et l’imposture se mêlèrent et que la lumière et les ténèbres se confondirent. Conséquemment, des hommes incompétents se mettent à éduquer ceux qui les sollicitent, des hommes en les faisant entrer en retraite spirituelle et en leur inculquant des noms à réciter dans un mauvais dessein et selon des objectifs contraires à la vérité (haqq). Il arrive même qu’ils y ajoutent des formules et des trucs leur assurant le service des esprits, propres à les exposer progressivement à la réplique imprévue de Dieu (makr Allâh).
On retiendra donc, ou l’on se souviendra puisqu’il s’agit là d’aspects relativement connus (au moins des responsables de turûq qui sont censés les connaître, si ce n’est les exposer et les mettre en oeuvre quand les exigences de la situation l’imposent), que la méthode conventionnelle a, elle-même, été précédée d’une période pendant laquelle la présence d’un Maître n’était ni nécessaire ni présentée comme telle. Cette période du Taçawwuf classique prit fin lorsque la dégénérescence cyclique amena les autorités spirituelles de l’époque (finalement par la personne de l’Imâm Zarruq et au travers de ses Qawâ’id), à présenter, à la suite de la formulation d’un ensemble cohérent de règles actualisées, le constat conclusif de la nécessité de procéder à une adaptation méthodique importante et générale au sein des turûq.

Certainement dans la lignée de l’enseignement du Cheikh al-Akbar, l’Imâm Charani rappelle néanmoins la nécessité de la persistance d’une guidée spirituelle véritable 4 :

« De fait, la lumière du Prophète restera à jamais, sa faveur restera totale et sa bénédiction, générale jusqu’au Jour du Jugement. Fin de citation. »

Ces dernières remarques conduisent d’ores et déjà à penser qu’il y lieu de bien distinguer deux nécessités : celle qui concerne la persistance de l’enseignement initiatique au sein des turûq régulières jusqu’à la fin des temps et celle qui concerne la présence, sous-entendue corporelle, d’un Maître qui guide le disciple dans son cheminement initiatique.

Mais il est alors parfaitement impératif de distinguer très précisément les niveaux concernés et d’affirmer avec force que seule la nécessité de la persistance de l’enseignement initiatique au sein des turûq régulières jusqu’à la fin des temps est absolue. La nécessité de la présence d’un Maître n’est, en réalité, que relative puisqu’elle n’est simplement que l’expression d’une adaptation méthodiques effectuée à une période donnée, qui débuta à l’apparition des défauts trop importants chez l’initié pour qu’il puisse y remédier seul et dura tant que la combinaison des conditions cycliques et la capacité du disciple à accepter les prescriptions de son Maître rendait la présence de celui-ci encore bénéfique.

La longueur de cette période, que l’on peut approximativement situer à partir de la quatrième génération jusqu’à il y a cinq cent ans environ, soit au maximum six siècles et demi 5 (sur plus de quatorze, rappelons-le …), ne doit pas faire oublier que la raréfaction des Maîtres ne peut donc signifier la disparition de l’enseignement initiatique effectif au sein des turûq. Elle doit, au contraire, susciter le questionnement légitime qui consiste à se demander par quoi cet enseignement est donc susceptible d’être remplacé, à la place ou en parallèle de l’éducation conventionnelle, tout à fait régulièrement et efficacement au sein des turûq qui accueillent des candidats sincères et qualifiés au cheminement initiatique effectif.

Par Mohammed Abd es-Salâm

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