Reposant sur des croyances ancestrales, fondées sur le polythéisme, le culte des ancêtres et certaines pratiques négatives, même si la culture qu’elle générait lui a permis de se constituer, de se consolider et de survivre aux vicissitudes de l’Histoire, elle avait formé des personnes équilibrées, solides, pénétrées de valeurs fortes, unies et solidaires.
L’introduction de l’Islam en Afrique, et on ne le dit pas souvent, est antérieure de quelques années à son établissement à la ville sainte de Médinatoul Mounawara, puisque, bien avant l’Hégire, des exilés mecquois, dont le credo était l’Islam, avaient été accueillis, en Abyssinie par le Négus chrétien Nadjachi, qui les avait protégés et aidés.
En Afrique au Sud du Sahara, les travaux les plus récents établissent, aujourd’hui, que son apparition dans cette zone se situerait entre le 8ème et le 9ème siècle.
Dès l’entame, des daaras ont vu le jour. Elles étaient bâties sur un modèle fondé sur le principe d’une éducation globale. Celle-ci prend en compte la personne humaine dans toutes ses dimensions. Elle assure sa formation, de manière à en faire non seulement un bon croyant, connaissant parfaitement les principes du Saint Coran et de la Sunna, mais aussi un citoyen formé et informé, vertueux et modéré, possédant toutes les vertus de la sociabilité, de la droiture, de l’intégrité, pénétré d’un esprit de justice, respectueux de l’autorité, aussi bien familiale, parentale, sociale, qu’étatique, attaché où une société d’ordre, de paix, de stabilité, de justice, de solidarité et de fraternité.
Les daaras étaient, aussi, l’école du courage héroïque et de l’engagement patriotique, dans laquelle l’apprenant était préparé aux durs labeurs de la vie, à la faim, à la soif, à la sobriété dans l’existence.
Il devait apprendre à vivre avec peu, à partager avec d’autres, à faire don de sa personne à sa communauté, à oublier les privilèges qu’il pouvait tenir de son origine sociale.
Il se coulait dans le moule d’un modèle social humble, discret, poli, effacé, résistant et stoïque.
Le talibé était préparé à devenir un régulateur social, un ouvrier du développement, un juge et un arbitre, un guide et un leader, prêt à s’impliquer dans toutes les nécessités sociales et dans tous les combats au service de sa communauté.
C’est dans les écoles coraniques qu’ont été formées toutes les figures emblématiques musulmanes de l’Islam africain, qui ont porté haut, avec dignité et courage, le flambeau de la résistance à l’occupation coloniale.
Dès l’époque de la Charte de Kurukan Fugha, en 1236, l’Islam est considéré par la population du Mandé comme la référence sublimable sur laquelle la société entendait bâtir un nouvel humanisme.
Il sert, progressivement, de référence à tout ce qui concerne la vie religieuse, l’ordre moral, les relations intercommunautaires, la vie sociale, l’organisation économique, ainsi que le pouvoir diplomatique et militaire.
Au sein des empires du Soudan nigérien, se développe, depuis l’époque du Ghana, jusqu’à la bataille de Tondibi et même au-delà, une civilisation brillante, faite de raffinement, de goût, de bonnes mœurs, de traditions raffinées, dont l’essence et la quintessence sont issues, directement des principaux foyers religieux que sont la Mosquée Sidy Yaya, la Mosquée de Dinguerber, la Mosquée de Sankoré, pour ne citer que ces exemples.
Des Savants hors du commun, dont Ahmed Baba est l’archétype parfait, dispensaient un savoir polyforme, avec un talent et une compétence, que Maurice Delafosse a décrit, avec respect.
Selon le témoignage de Léon l’Africain, la vie intellectuelle était tellement développée dans la société que tout le monde savait lire, puisque le commerce des livres y était l’activité économique la plus rentable.
Dans la Sénégambie, où brilla de mille feux l’Université de Pire, fondée en 1603, par Khaly Amar Fall, à partir d’une daara, cette institution a formaté des héros et des savants hors du commun, parmi lesquels Thierno Souleymane Baal, Abdou Kader Kane, El hadj Oumar Foutiyou Tall, Malick Sy du Boundou, Matar Ndoumbé Diop de Coki et toute cette phalange d’érudits sémillants qui officiaient dans le Mbakhol, le Niomré, le Nguick, le Ndiagourèye, sans parler des centres comme Thilogne, Kobilo ou Ganguel, etc., dans le Fouta, ou bien Ndame, Ndiarndé, Djamal, etc.
Ce fut au nom des valeurs humanistes, que ces daaras leur ont inculquées, que les marabouts du Cayor se sont soulevés contre l’esclavage, la traite négrière, dès le 18e siècle, dans ce qu’on appelle « la Guerre des Marabouts ».
Ils furent les premiers abolitionnistes qui ouvrirent la voie à Toussaint Louverture.
Ce furent leurs élèves qui, à Saint-Louis, ont, dès le 08 septembre 1832, revendiqué au Conseil privé de la colonie une place pour la langue arabe.
Un an après sa nomination, Faidherbe entreprenait une offensive en règle contre les marabouts qu’il voulait amener, soit à se rallier à la cause de la colonisation, soit à subir la répression administrative. C’était en 1855.
Le 22 juin 1857, un Arrêté du Gouverneur oblige chaque maître musulman à envoyer, obligatoirement, tous les talibés de ses daaras, âgés de plus de 12 ans à l’école française.
Le 1er octobre 1857, un nouvel Arrêté fixa le nombre de marabouts hal pulaaren ayant droit à des coutumes, d’une quarantaine à 23, pour les priver de moyens de propager l’Islam.
Le même Arrêté prescrit qu’aucune école coranique ne peut recevoir plus de 250 élèves, parmi lesquels les plus âgés doivent, obligatoirement s’inscrire aux cours du soir d’une école française.
Ces efforts ayant échoué en 1870, un Arrêté du Gouverneur général exige une autorisation préalable, avant toute ouverture d’une école coranique.
L’importation du Livre du Saint Coran est interdite, dans le même mouvement.
Un Bureau politique, créé au Ministère de l’Intérieur, contrôle les achats et les entrées de livres en langue arabe et les confisque de façon quasi-systématique.
En 1871, les arabisants sont implicitement déclarés illettrés, s’ils ne savent lire et écrire le français, aux élections législatives de l’époque.
En 1893, il fut décidé qu’aucune école coranique ne serait autorisée qu’à la condition de recevoir les inspecteurs envoyés par les Français.
En 1896, la situation se corsa davantage. Pour ouvrir une école coranique, il fut décidé qu’on devait subir un examen en langue arabe, qu’on devait tenir un registre en français dont le double serait envoyé, chaque trimestre, au Ministère de l’Intérieur.
Le 12 juin 1906, le Gouverneur général Guy Camille décide :
que les écoles coraniques ne pourront plus recevoir les enfants de 6 à 12 ans, pendant les heures de fonctionnement des écoles françaises ;
que les écoles coraniques doivent enseigner le français pendant 2 heures, au moins par semaine ;
qu’une subvention de 300 F sera offerte à tout chef religieux qui encouragera l’application de cette règlemen- tation.
Le Docteur Mamadou Ndiaye a consacré à ce sujet une réflexion exhaustive qu’il me plaît, ici, de saluer.
Entre 1857 et 1904, seules 142 autorisations seront délivrées, soit, en moyenne, 3 écoles par an.
Pour entrer dans l’école du père Libermann, qui sera créée plus tard, il fut prescrit que le candidat musulman devait, obligatoirement, renoncer à son prénom islamique et en prendre un autre, chrétien.
L’Internat fut créé, selon les travaux de Pape Amadou Fall, par les frères de Ploërmel. Sous l’influence de l’autorité coloniale, son but, entre autres objectifs, visait à couper la jeunesse de sa famille et de son environnement culturel.
En 1847, on l’étendit aux filles.
En 1852, on le rendit même obligatoire.
Et en 1857, la Medersa de Saint-Louis reçut la mission de former un autre type d’enseignant, entièrement soumis à la France, différent de celui formé dans les daaras.
Tout cela s’inscrivait dans le combat contre les écoles coraniques.
Les luttes que menèrent Guillé Fatim Thiam, Diaga Aïssa, El Hadj Oumar Foutiyou Tall, Maba Diakhou Bâ, Samory Touré, Ndiouma Diatt, Mamadou Lamine Dramé, El Hadji Abdoulaye Niasse, Abdou Hamid Kane contre le Commandant Brocard, Limamoulaye Thiaw, etc., contribuèrent à renforcer la répression contre les daaras.
C’est cet héritage que nous a laissé le système colonial, un héritage fait de méfiance, de rejet, de dénaturation de sa mission, de crainte, d’exclusion, de marginalisation et de diabolisation.
Voilà pourquoi ses héritiers, dès l’indépendance, exclurent les daaras des subventions que l’Education nationale dispense aux écoles privées.
Cette vision est, encore, présente dans nos sociétés, 50 années après nos indépendances.
Sous le régime de Senghor et bien après, les daaras ont été frappées d’ostracisme et de relégation à la périphérie de la société.
Leur mission d’éducation a été ignorée, sinon minimisée. Quand j’étais ministre de l’Education nationale en 1983, grande fut ma stupeur de découvrir que Cheikh Mourtada Mbacké, pour ses 300 écoles coraniques, employant 500 enseignants et 125 agents de service, recevait une subvention annuelle de 700 000F, contre 550 millions pour les écoles confessionnelles des religions non islamiques, au nombre d’une centaine, à peu près.
N’eussent-été la détermination des familles religieuses et la combativité des maîtres concernés, l’éducation coranique aurait connu un recul net.
Aujourd’hui, le Sénégal compte, semble-t-il, plus de 50.000 daaras au service d’une population de 95% de musulmans. Comment peut-on ignorer un tel phénomène, sans nuire à notre développement ?
Ce n’est que récemment que le Gouvernement de l’Alternance, après avoir élaboré un Projet de daara moderne, projette de décider la reconnaissance de toutes ces institutions, de manière à mettre un terme à l’exclusion qui les frappait, afin d’être en mesure de leur accorder les subventions d’Etat, qui leur faisaient jusque-là, défaut.
Mais, cette mesure intervient dans un contexte de crise sur le plan international, touchant les domaines social, politique, économique et culturel, l’ouverture médiatique, tous azimut, marquée par la télévision sans frontière, qui pénètre chaque famille, jusqu’au cœur de son intimité, avec ses télénovelas et les films pornographiques répandus par internet.
Cette crise s’est ressentie dans les daaras où la dimension morale a d’autant plus baissé chez nombre de maîtres coraniques, que les parents d’élèves leur confient leurs enfants sans aucune contrepartie en espèces ou en nature.
Comment le maître coranique peut-il subvenir à la nourriture de 100 talibés, s’il n’est pas aidé ? Doit-il les laisser mourir de faim ? Que dirait-on de lui, dans un tel cas de figure ? L’Etat n’a pas le droit de l’abandonner à son sort.
Voilà pourquoi la mendicité s’est développée.
Il est, certes, vrai que chez nombre de maîtres coraniques, beaucoup plus soucieux d’exploiter leurs jeunes talibés que de les former, on a développé une culture de la mendicité que l’Islam interdit, pourtant fortement, avec quelques exceptions. Ces enseignants-là ne doivent pas être encouragés.
C’est cette catégorie, qui n’est qu’une minorité, que ciblent, de manière permanente, les adversaires de l’Islam, pour dénaturer notre religion et alimenter l’islamophobie.
On oublie, à dessein, que dans le Fouta, à Tivavouane, à Ndiassane, à Touba, à Kaolack Niassène, à Diamal, à Coki, à Saint-Louis, à Kobilo, à Matam et même à Dakar (Yoff, par exemple), nombreux sont les daaras d’excellence qui dispensent un enseignement et une formation de qualité.
Au vu de ce qui précède, il est urgent de se pencher sur ce secteur pour lui restituer ses lettres de noblesse et lui assigner une nouvelle mission, fondée sur le développement d’un enseignement de valeur, l’apprentissage d’un métier permettant à l’apprenant de gagner, dignement, sa vie et l’ancrage à des valeurs morales fortes, à la hauteur des principes sacrés de l’Islam.
La répression n’a, jamais, réussi dans ce secteur. Le système colonial l’a essayée, dans les années 30-31, au moment de la grande dépression économique. Ce fut un échec. Entre 1945 et 1948, le Gouverneur général de l’Aof, après avoir mené une série d’enquêtes au Dahomey, au Niger, en Guinée, au Soudan, en Mauritanie, en Haute-Volta et au Sénégal, s’était attaqué au problème de la mendicité. Ce fut un échec.
Léopold Sédar Senghor, dans son Rapport de politique générale, au Congrès extraordinaire de l’Ups des 27 et 29 décembre 1976 (Pages 150 et 151), s’était juré d’éliminer la mendicité et le bana-banisme, avant 1979.
Voici ce qu’il disait, à cette date :
« J’allais oublier le problème des bana-banas et des mendiants, qui est, malgré les apparences, le plus important. Il ne faut surtout pas qu’on invoque la religion. Les religions islamique et chrétienne, voire l’animiste, si elles nous recommandent la charité, n’ont jamais institué la mendicité, qui est une tare des sociétés anciennes. La meilleure preuve est que cette mendicité, qui sévissait dans les trois Etats du Maghreb, a été complètement éliminée depuis l’indépendance. (Ce qui est loin d’être vrai).
D’autre part, nous avons parcouru huit Etats du Machrek sans y avoir vu, une seule fois, un mendiant. (Cela aussi ne prouve rien, car les mendiants y existent bel et bien, mais ils n’empruntent pas les mêmes itinéraires, ni les mêmes lieux que les chefs d’Etat).
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a légiféré et réglementé dans le domaine considéré. Des peines de prison ont été prévues contre les bana-banas et, d’une façon générale, les marchands ambulants. S’agissant des mendiants, selon l’âge, la situation et les circonstances, les peines vont de la prison au centre de rééducation. Tout cela demande, évidemment, de nouvelles structures et de nouveaux crédits.
Le Gouvernement est décidé à prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer, avant l’année 1979, la mendicité et le bana-banisme.
Pour conclure sur le tourisme, notre pays a, manifestement, une vocation touristique. Il nous reste seulement à asseoir notre entreprise sur des structures d’accueil rationnelles et efficaces, mais surtout une volonté sans faiblesse de faire disparaître mendiants et bana-banas ».
Dans les années 90, le régime du Ps a, on s’en souvient, déversé des wagons de « déchets humains ou d’encombrements humains », selon la terminologie de l’époque, à Kidira. Il avait, donc, lui aussi, échoué sur la question de la mendicité.
A la lumière de ce bref survol, je propose que la question des talibés soit bien étudiée, de manière à être traitée avec clémence et compréhension, pour ne pas donner à un segment de la société le sentiment d’être stigmatisé et excessivement harcelé. Il faut se concerter avec les secteurs concernés, après avoir répertorié les propositions alternatives, qu’on pourrait leur proposer, pour mettre un terme à la mendicité. Cela demande l’intervention de l’Etat, celle des Mairies, des Conseils régionaux et des Communautés rurales, pour dégager des moyens financiers importants permettant de fournir aux grandes daaras des aides en vivres. Les parents d’élèves aisés apporteraient une contribution volontaire et régulière.
Un projet de financement serait déposé à la Banque islamique de développement. Les mécènes des pays du monde arabo-islamique seraient sollicités. La Croix-Rouge organiserait un téléthon tous les ans pour alimenter un Fonds d’aide aux daaras. Ce travail serait complété par un volet d’éducation, d’information sur les dangers de la rue et de formation sur l’intégration dans les daaras, d’un module économique de culture maraîchère et d’activités de même nature génératrices de revenus.
L’Alternance a, sur ce chapitre précis, une injustice à corriger.
En attendant que ce dispositif voie le jour, à travers la nouvelle Loi d’orientation sociale, je propose, à présent que le Gouvernement a montré sa détermination et que son autorité a été établie, que les maîtres coraniques condamnés soient graciés, à titre exceptionnel, pour apaiser le climat social, renforcer la cohésion nationale et consolider l’unité du pays.
Professeur Iba Der THIAM
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