Cette crainte que les médias soient vecteurs d’obscurantisme, de sectarisme de tous ordres, de promotion d’une culture décadente, est partagée aussi bien par les pouvoirs publics, les acteurs de la société civile que par les responsables de la profession. La preuve nous en est donnée par le cri du coeur du Secrétaire Général du Synpics perçu par le Président de la République comme une invitation urgente à un assainissement. Les citoyens que nous sommes ne peuvent que manifester une certaine satisfaction devant cette attitude toute de clairvoyance des responsables des media qui invitent les pouvoirs publics à y regarder de plus près, afin de mieux protéger la profession et les acteurs, ainsi que le public et la nation.
Cependant, ce désir d’assainissement que nous partageons, aussi louable soit-il, ne doit pas être le prétexte d’une purification »partisane » qui écarterait des adversaires dont le projet est techniquement et culturellement acceptable. Il ne doit pas être non plus l’occasion d’inaugurer le temps de la censure. Car, il ne sert à rien de vouloir contrôler les idées, il est plus judicieux de les laisser éclore, de les confronter afin de démontrer leur pertinence ou leur vacuité en termes de valeurs, de substance et de finalités. C’est là le prix à payer pour une démocratie pluraliste et pour la promotion d’une compétition des opinions et des offres de projet.
Mais si l’Etat est interpellé pour le respect du pluralisme médiatique et la garantie de la liberté de presse, admettons tout de même qu’il ne peut rester indifférent à tout ce qui risque de porter atteinte à la cohésion nationale, à la stabilité des institutions de la République. Il est le garant de leur bon fonctionnement et de l’unité et la cohésion de la nation. Cela appelle de sa part la conjonction entre le droit à la liberté de la presse et le devoir de préserver les principes et valeurs qui fondent la nation et promeuvent son unité, son intégrité et son ancrage dans une »africanité » ouverte au progrès. Cette responsabilité n’est pas exclusive à l’Etat, je crois, elle est aussi celle de la profession qui l’a inscrite, au demeurant, dans la devise de son syndicat, le Synpic. Le couple »liberté et responsabilité » me semble être un projet permanent, une ligne de conduite de tout instant, un paramètre aussi pour mesurer la pratique de la profession, pour nous autres simples citoyens.
Ce diptyque est plus qu’important car sans cette responsabilité, les media peuvent se transformer en facteurs de danger pour la démocratie et de »fitna » pour la société. Qu’on ne soit pas naïfs, les pouvoirs d’argent et certains groupes de pression politiques ou religieux, forts de leur capacité d’investir dans un secteur »porteur » et sensible, cherchent à devenir maitres des différents media, pour les instrumentaliser, avec un agenda particulier qui n’a rien à voir avec la liberté d’opinion qui s’exerce dans le sens de la promotion d’un Etat de droit et d’une société démocratique. Les manipulations des coteries ou desdits groupes de pression sont synonymes d’altération de la nécessaire indépendance, elles sont aussi des tentative de tromper l’opinion pour leurs intérêts particuliers. Toutes choses graves pour la cohésion nationale, le pluralisme concurrentiel et non »’confrontationniste ».
Tout cela justifie que l’Etat ait la responsabilité de veiller, de manière démocratique, à ce que les media évoluent dans un environnement sain pour la République et la société. Sans parti pris politique ou religieux, il doit être le garant du pluralisme et de la neutralité dans l’exercice de la liberté de presse. Sans cela, il laisse la porte ouverte à une explosion médiatique qui favorise la diffusion de rumeurs de toute sorte, de fausses nouvelles et de programmes dangereux qui promeuvent le sectarisme de toute nature et l’éclatement de la nation, par organes de presse interposés.
Sur un autre plan, il me semble opportun d’inviter les media à une inversion de la pyramide, pour emprunter un terme de leur terminologie. Est-ce qu’il ne serait pas plus gratifiant, dans nos sociétés où la presse participe aussi à l’éducation, de mettre en exergue le sens de l’humain et du social? Est-ce qu’on ne gagnerait pas à donner la priorité à l’humain dans la société plutôt que d’accorder la primauté au »sensationnel » ou au scoop, à l’audimat ou à tout autre indice d’audience et à la rentabilité? Ce sont là des questions d’un profane, certes, mais ce sont des interrogations que je mets dans la corbeille des responsables des media. Car, on peut avoir l’impression, quelques fois, que le traitement de certains dossiers ou informations répondent au souci de »vendre » ou de manipuler l’opinion, plutôt qu’à celui d’informer vrai et juste. On l’a vécu avec la rumeur véhiculée autour de la »dépénalisation de l’homosexualité ». C’est le lieu de rappeler le principe coranique qui dit : » يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا إِن جَاءَكُمْ فَاسِقٌ بِنَبَإٍ فَتَبَيَّنُوا أَن تُصِيبُوا قَوْمًا بِجَهَالَةٍ فَتُصْبِحُوا عَلَىٰ مَا فَعَلْتُمْ نَادِمِينَ. O vous qui avez cru! Si un pervers vous apporte une nouvelle, voyez bien clair [de crainte] que par inadvertance vous ne portiez atteinte à des gens et que vous ne regrettiez par la suite ce que vous avez fait. » -Hujrât, verset 6.
Enfin, je voudrais dire deux mots sur le délit de presse. Je ne sais pas ce que cela recouvre juridiquement parlant mais au niveau sémantique, il sonne comme une volonté de museler la presse ou de la stigmatiser. Un délit peut-il être exclusif à un secteur? Y a-t-il un délit d’enseignement, un délit de médecine? Je ne sais pas. Ce que je crois, c’est qu’il est compréhensible qu’on demande aux acteurs de répondre de leurs actes, quelle que soit la profession à laquelle ils appartiennentt. Le principe de la responsabilité déclaré par le Synpic ne peut prospérer sans celle de »répondre de ses actes ». Cela peut être discuté et étudié dans un sens plus juste qui soit conforme à la fois au droit à l’information et au respect de la vie privée, à l’exactitude des informations fournies et diffusées et à l’obligation de vérification. Le juste principe de »répondre » de ses actes ne doit pas être cependant une épée de damoclès entre les mains de l’Etat ou des délinquants pour museler la presse et anesthésier les media.
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