22 novembre 2024
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Contribution

4/5 – Manifestations confrériques d’utilité diplomatique : la confrérie en mission – Par Bakary Samb

Chaque année se tiennent au Sénégal des journées culturelles dédiées au fondateur de la Tidjaniya. L’événement est accueilli à l’Institut islamique, dans la cour de la Grande Mosquée de Dakar, financée et inaugurée par Hassan II en 1963. Le gouvernement marocain y dépêche une délégation officielle composée de ministres et de diplomates. Cette manifestation est, pour les dignitaires et disciples de la confrérie, l’occasion de rappeler l’attachement de la Tidjaniya sénégalaise au Maroc, par un jeu d’associations découlant du fait que ce pays abrite la zaouïa [10] Mosquée où sont pratiqués les rituels soufis, et où…[10]-mère, siège de la confrérie.

L’édition de 1999, quelques mois après la mort d’Hassan II, fut chargée de symboles mais aussi de messages politico-diplomatiques. Elle fut le cadre choisi pour décliner toute la stratégie d’allégeance des membres de la confrérie au nouveau roi Mohammed VI. Son long message adressé aux Tidjanis sénégalais était porté par le ministre des Affaires religieuses Abdelkébir Alaoui Mdaghri , sans passer par les chancelleries ou d’autres circuits diplomatiques. Le message a été lu publiquement et immédiatement traduit en wolof, la plus parlée des langues nationales du Sénégal. Un important cheikh de la Tidjaniya, Maodo Sy, s’est chargé de réaffirmer explicitement « l’allégeance de la confrérie et de ses cheikhs au trône des Alaouites [11] Discours de ce marabout lors des journées de la Tidjaniya…[11]». Le représentant du gouvernement sénégalais à cette manifestation ne pouvait qu’entériner cet état de fait, précisant dans son allocution au nom du président de la République : « nous vous confions les relations sénégalo-marocaines ». La confrérie venait d’être reconnue pour son rôle diplomatique, et ses membres étaient très courtisés par des partis politiques galvanisés. On était à quelques mois de l’élection présidentielle de février-mars 2000, qui fut finalement fatale au dauphin et successeur de Senghor Abdou Diouf, et vit l’arrivée d’Abdoulaye Wade à la tête du Sénégal.

Les relations « fraternelles » allaient-elles souffrir des changements intervenus à la tête des deux pays ? L’extrême privatisation des rapports politiques allait-elle avoir raison de leur dimension religieuse ou bien les ressources symboliques partagées allaient-elles encore aider à maintenir le lien, et garantir leur nature « exceptionnelle » et leur stabilité ?
La dimension religieuse d’une diplomatie : l’onction religieuse comme gage de durabilité

Le Maroc se distingue de ses voisins maghrébins par sa forte et constante implication au sud du Sahara. D’une stratégie continentale tâtonnante dans les années 1960 – avec le rôle du groupe dit de Casablanca dans la naissance de l’OUA – jusqu’à une politique de bilatéralisme sélectif, le royaume chérifien a toujours marqué sa présence dans les « affaires africaines ». En témoigne, par exemple, l’envoi, en 1977, de soldats au secours de Mobutu dans la guerre du Shaba.

L’arrivée d’Hassan II à la tête du royaume marque le début d’une nouvelle politique dite de « retour en Afrique », dès 1963. Le déclic fut le rapprochement entre le Maroc et le Sénégal en 1964, ce dernier constituant, selon l’expression d’un ancien conseiller du roi, la « profondeur africaine» du royaume. Cet état de fait fut par la suite renforcé par les liens personnels entre les dirigeants des deux pays ayant en partage la francophonie et une proximité idéologico-politique avec le bloc occidental, notamment la France [12] A. Barre, « La politique marocaine de coopération en…[12]. Le Sénégal put même être considéré comme le partenaire africain privilégié du Maroc du fait des relations personnelles entre Senghor et Hassan II.

Mais la constante religieuse fut toujours un secours face aux aléas de la vie internationale et des conjonctures diplomatiques. Hassan II l’avait compris très tôt, qui affirmait clairement lors d’une conférence de presse à Taef, en Arabie Saoudite, le 9 mars 1980 qu’en Afrique « le Maroc se considère comme investi de la mission de préservation et de diffusion de la religion musulmane, par le biais des universités, des mosquées, des prédicateurs, des oulémas et des professeurs [13] Conférence de presse à Taef le 9 février 1980, in …[13] ». Lors des changements politiques quasi concomitants dus à la mort d’Hassan II (juillet 1999) et à l’alternance qui plaçait Abdoulaye Wade à la tête du Sénégal (mars 2000), ce sont ces liens symboliques qui ont facilité la transition. Pour sa première sortie officielle, le tout nouveau président Abdoulaye Wade porta son choix sur le Maroc, un titre de presse relatant éloquemment : « la spontanéité dans la communion, les peuples marocain et sénégalais ont toujours su et savent toujours la faire vibrer à l’unisson, par une évocation culturelle souvent émouvante de leurs destins croisés, aux confluences de leurs racines communes [14] Maroc Hebdo, 2 juin 2000.[14] ».

Devant la force d’un tel symbolisme diplomatique, tout se passait comme si l’ancien opposant et nouveau président, qui avait reconnu le Front Polisario, se devait de « rentrer dans le rang », pour se conformer à la nature sacrée des relations bilatérales, affirmant, à propos du conflit sahraoui, sur la chaîne de télévision marocaine 2M : « Moi je suis aux côtés du Maroc, et le Sénégal est aux côtés du Maroc ». Bien que d’obédience mouride (une autre confrérie du Sénégal), le président Wade tint à clôturer sa visite officielle en se recueillant, avec toute sa délégation, au mausolée de Sidi Ahmed Tijani à Fès, message éminemment politique envoyé aux adeptes de la Tidjaniya au Sénégal.

Le nouveau président l’avait reconnu lui-même avant son départ du Maroc : « les temps ont changé et nous devons tourner le regard vers l’avenir qui interpelle nos destins communs [15] Ibidem, 2 juin 2000.[15] », tournant ainsi la page.
A suivre…

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