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Pourtant, par 120 vers (Yakfî), Maodo a composé une ode unique en l’honneur du Prophète de l’Islam. Chantée, récitée, psalmodiée, préservée de l’oubli dans les cœurs de ceux qui ne peuvent se contenter de la lire, la Nûniya était né éternel. Elle est cet hymne à la joie et au bonheur d’appartenir à la communauté muhammadienne. N’est-ce pas pour cela que le premier hémistiche de son plus célèbre vers n’est composé que d’un seul terme : Surûr !
Cheikh El Hadji Malick construit ce poème, comme à son habitude, en respectant les composantes de la qaçîda classique à commencer par le Ghazal : le même dont fit usage un certain Al-Bûsayrî, l’auteur de la Burda (Bourde), et, avant lui Ka‘b Ibn Zuhayr. Chez Maodo, ce procédé, n’est qu’un voyage poétique et spirituel décrivant l’inanité des jouissances terrestres dont la plus splendide rose est appelée à se faner tout en faisant courir le risque de s’enliser dans les épines de la tentation destructrice, loin de l’Amour du divin que savait si bien magnifier Jalâl Dîn Rûmî.
Seule une lecture réductrice et littéraliste, sans goût pour l’esprit et l’essence des choses, serait tentée d’y déceler une mondanité aux antipodes des vertus de Maodo. Dans la Nûniyya de Cheikh El Hadji Malick Sy, le Ghazal est ponctué d’un rappel à l’ordre et d’un penchant immodéré pour le Zuhd, la renonciation à l’Ici-bas.
Dans le style de Maodo, l’allégorie se met se met constamment au service du bien dit et de la poétique pour ne perdre aucune occasion de redevenir le fin pédagogue qu’il n’a jamais cessé d’être.
En effet, dès les premiers vers de Rayy Zam’ân (ou Nûniyya), Cheikh El Hadji Malick donne le signal et nous met en garde contre, la mondanité, cette menteuse qui veut nous berner de contre-valeurs (wa mâ Kazaba zamânu an Atânâ…etc). Et Maodo de décrire la fin inéluctablement tragique de toutes ces vanités dont les âmes charnelles semblent être si friandes (Wakâna Dahru yarmînâ Sihâman./ Fa afnâ Zâka ‘âdatuhû Qurûnî). Dans ce tableau que dresse Cheikh El Hadji Malick de cette vie d’ici-bas sans grande valeur, l’errance des âmes piégées par les ombres de beauté n’a d’égale que le désarroi accompagnant la conscience de s’être trahie dans la surévaluation des fioritures ornant notre vie (Zukhruf al-hayât Dunya).
Usant de la métaphore d’une étrange bien aimée qui ne cherche que la perte de l’amant usurpé, Maodo veut nous enseigner que seule vaut d’être vécue la vie guidée par l’amour du Prophète par déférence à son inégalable statut. Dans le style que Cheikh El Hadji Malick déploie tout au long de cette Qacîda, le Prophète Muhammad (PSL) est cet irremplaçable refuge après l’errance, le réconfort des damnés, des déçus de l’Ici-bas, l’espérance des désespérés, en somme, la seule source abreuvant les assoiffés du Vrai Amour (Matâ mâ dâna bahruki min kudûrin, fa çâfin salsalun bahrul Amîni).
C’est au bout de cet itinéraire menant à la source intarissable de l’Amour prophétique que Cheikh El Hadji Malick entreprend la description de celui qu’il a choisi comme modèle : le Prophète de l’Islam (Nabiyyun), ce génie politique (‘abqariyyun) doublé d’un guide spirituel, élu de Dieu (çafiyyu-l-lâhi).
Dans la Nûniyya, Maodo peint les traits physiques du Prophète qui, en définitive, ne reflète que sa beauté intérieure de gentilhomme au-dessus de les tous les comparatifs (çabîhul wajhi zû Khulqin bayunî).
En grand lettré et mystique, Cheikh El Hadji Malick Sy s’en limite aux métaphores et aux symboles pour donner corps à sa description panégyrique. Pour Maodo, le Prophète est la clé (miftâh), le phare qui nous éclaire (miçbâhun munîrun), avec la générosité (jawâdun) dont seul dispose l’Elu qu’il est (Muçtapha). Il est aussi celui qui, en privilégié confident (munâjâ) eut la satisfaction du Seigneur (Murtadâ) tout en restant le guide, ce mage annonçant la bonne nouvelle (Hâdin, Bashîrun).
Cheikh El Hadji Malick insiste sur cette guidance éclairée, réceptacle de la Lumière dont les plus infimes rayons nous engloutissent de luminosité (Sirâjun min ashi’atihi-stanarnâ…etc).
Mais le réalisme de la description fit vite place à l’abstraction lorsque Cheikh El Hadji Malick voulut, dans son oeuvre, en revenir à l’essence des choses. S’il fut cette créature élue du Créateur, c’est que le Prophète Muhammad (PSL) avait accédé à son statut depuis le « monde des âmes » (‘Alam al-arwâh). C’est surtout dans Wasîlatul Munâ (Tayssir) que Cheikh El Hadji Malick Sy exprime mieux cela en décrivant le Prophète comme la Réalité de l’Existence en même temps que le reflet de l’Etre ( Haqîqatul Kawni ‘aynu-zâti tal’atuhâ !), cette effluve émanant de Dieu en en symbolisant la Lumière (Ifâdatu-l-lâhi nûru-l-lâhi yallâhu).
Dans la Nûniyya, non moins dans Khilâçu Zahab plus tard, tous les signes annonciateurs de la naissance du Prophète sont énumérés par Maodo, mêlant précision et souci d’agencement harmonieux de ces miracles qui façonnent, sur le plan, exotérique, le statut du meilleur des créatures.
La joie accueillant un tel évènement qui changera le cours de l’Histoire ne peut être contenue par aucune mesure du temps, tellement elle est incommensurable. Cheikh El Hadji Malick assimile, alors, cet instant d’une éternelle joie à l’année qui englobe les mois dans lesquels point le jour de la plus grande béatitude ; celui qui vit naître le Prophète : « Wa âmun Thumma Shahrun Thumma Yawmun/ Atâ fîhil hudâ Qarnul Qurûnî).
La célébration du Mawlud, telle que l’exprime Cheikh El Hadji Malick Sy, dans la Nûniyya, est la clé de la satisfaction des besoins d’ici-bas mais aussi la réalisation du vœu de gagner la félicité (Wa fit-ta’zîmi injâhu shujûni).
En effet, c’est par celui dont la venue au monde le bouleversa que fut aussi réalisé la délivrance de tous ceux qui ont eu à invoquer Dieu dans des situations de détresse : les prophètes, depuis le pardon à Adam à Moïse en passant par Abraham sauvé des flammes comme Noé du déluge. En vérité, comme le dit Cheikh El Hadji Malick, c’est par le Prophète que nous avons tout obtenu, tout gagné, des gratitudes les plus diverses à la béatitude la plus singulière (Da’il itbâba qul kullul barâyâ , Unîlû mâ unîlû bil-mubînî).
Quoi de plus naturel sachant que le Prophète Muhammad fut à l’origine même de notre existence et de celui de l’Univers ; ce que cheikh El Hadji Malick exprime par le terme d’al-îjâd.
Son élévation au sommet de la prophétie est décrite à l’image de son ascension (Mi’râj) et des miracles qui l’ont accompagnée. Seydinâ Muhammad, nous dit Maodo, était lumière avant même notre existence (Nabiyyun kâna qabla-l-kawni nûran) qui éclaira l’Arabie du VIIème siècle assombri par l’injustice et gratifia le monde de cette guidance qu’est l’Islam « Atâ wal-Kufru fî Jawrin wa Zulmin, fa qâda-l-kulla ‘an dînin wa dînî ».
Pour Cheikh El Hadji Malick Sy, le Prophète Muhammad est notre intercesseur (wasîlatunâ) qui lança cet appel à la Miséricorde ; c’est, en fait, par et grâce à lui que nous fîmes appelés à devenir les meilleurs de l’Humanité « Wabi-l-hâdî du’înâ khayra Qawmin..).
De toutes les vertus attribuées à un humain, le Prophète Muhammad ne peut se contenter que du superlatif absolu. C’est bien pour cela, aussi, que dans la Nûniyya, Cheikh El Hadji Malick Sy préfère les substantifs aux qualificatifs tellement le prophète Muhammad est l’incarnation de la pureté (çafwatu) de la bonté (barru) de la droiture (Hudâ). Finalement, au-delà des vertus qu’il incarne, Maodo nous apprend que le Prophète Muhammad a posé un système de vertus, une voie menant à la félicité. C’est cela même le secret de l’avance qu’a prise sa communauté, celle du bien et de la vertu : « Sabaqnâ man siwânâ ayya sabqin », nous dit Cheikh El Hadji Malick Sy.
Poursuivant cette description en se conformant aussi bien aux exigences de la vérité histoirique qu’à celles de la prosodie, Seydi Hadji Malick nous a dressé un portrait admiratif du seul modèle qu’il s’est toujours autorisé.
Voila que Maodo, fidèle à la tradition soufie du Tawassul, fait de la poésie un sacré moyen pour accéder à une fin non négligeable : la félicité. Cette manière d’user de toutes les possibilités du langage, raffiné par les meilleurs procédés poétiques, fait de la Nûniyya de Seydi El Hadji Malick Sy, un véritable joyau sur deux plans. C’est une poésie qui en dit long sur la maîtrise incontestée de l’arabe et de sa magie avec des nuances lexicales disqualifiant le novice sans jamais tomber dans le barbarisme (wahshiyat al-Kalâm).
La Nûniyya est aussi de ces odes (Qaçâ’id) qui déclenchent l’envie de plonger encore plus dans les réalités Muhammadiennes. Le rythme, la cadence et la mesure des propos ajoutés à la magie de la poétique suffisent pour dépasser l’obstacle de la langue dont il s’est toujours servi tel un orfèvre pour sortir des flammes de l’amour de Seydinâ Muhammad les meilleurs ouvrages.
Malgré toute sa modestie, Cheikh El Hadji Malick Sy, n’avertira t-il pas l’aventurier sur les itinéraires prophétiques, affrontant la profondeur de cet océan de bonté et de vertu qu’il détenait déjà les meilleurs perles de toutes les nacres ? : « Yâ Ghâ’ithal bahri lil-açdâfi ‘indiya açdâfun bi hâ durratun a’lâ min al-Jalamî » (cf. Khilâçu Zahab)
Si ce parcours du Prophète Muhammad, ces réalités et ses enseignements prophétiques sont d’or, Cheikh El Hadji Malick Sy est celui qui l’aura décanté dans le plus grand art mais aussi la plus profonde connaissance.
Avec le Concours du Dr Bakary Samb
Aga Khan University –Institute for the Study of Muslim Civilisations
London (United Kingdom) – bakary.sambe@gmail.com
BONUS – Nuniya chanté par Doudou Kend Mbaye
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