21 novembre 2024
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Taux de Chômage élevé, Manque d’infrastructures, Pauvreté… Tivaouane, les mille maux d’une ville sainte

C’était une soirée bassement politique dans une Cité hautement religieuse. Ce jour-là, Pape Diop, tête de liste de la Coalition «Bokk Gis Gis», est à Tivavouane dans le cadre de la campagne électorale pour les Législatives 2012. Venu présider un meeting dans la ville sainte, le Président du Sénat a, pour conquérir la jeunesse féminine, rappelé au Président Macky Sall ses promesses électorales. «Où sont les milliers d’emplois promis aux jeunes lors de la campagne présidentielle», lance Pape Diop à un public surexcité et acquis à sa cause. Coincé dans une chemise beige sur un pantalon bleu de nuit, le patron des frondeurs du Parti démocratique sénégalais (Pds) tentait de diminuer les chances de la coalition Bennoo Bokk Yaakaar aux Législatives en étalant les maux de la cité religieuse. Des maux qui peinent à trouver des solutions, malgré les mille et une promesses des différents chefs de l’Etat depuis le siècle dernier. Plombée par des années de chômage endémique, voire chronique, Tivaouane est aujourd’hui laissée à elle-même, malgré son statut de seconde ville religieuse du Sénégal, après Touba, sur le plan démographique. Debout sur sa foi tidiane et forts de ses minarets, Tivaouane souffre aujourd’hui de tous les maux. Et sa jeunesse fait partie des plus désœuvrées du pays.

Une jeunesse désœuvrée

Ce matin-là, un vent sec souffle sous un soleil de plomb dans la ville sainte. Rencontré devant un atelier de couture aux Hlm, au Nord-ouest de la ville, derrière le chemin de fer, Moustapha Diop devise tranquillement avec ses copains «chômeurs». Se tourner les pouces semble être leur seule activité. Très timide dans sa chemise Lacoste bleue qui tombe sur un pantalon jeans de la même couleur, Tapha, la trentaine, broie du noir. Tout semble lui échapper. «Nos autorités ne sont là que pour leurs propres poches et pour leurs intérêts. Ils ne pensent pas à nous, la jeunesse, qui sommes l’avenir du Sénégal», explose-t-il d’une colère longtemps étouffée contre les autorités étatiques. Pour ce chômeur de célibataire, la vie à Tivaouane n’est pas des meilleurs et le hic, selon lui, c’est que c’est une cité religieuse, donc l’Etat devrait penser à la faire développer. «Mais rien n’a été fait ici. Le maire de la ville ne fait rien pour nous. Il ne s’occupe que de la politique. Il n’y a pas d’usines. Nous sommes obligés d’aller jusqu’aux Industries chimiques du Sénégal pour trouver un travail journalier et ce n’est pas chose aisée», poursuit Tapha, la gestuelle abondante. Comme piqué au vif, le jeune homme, le phrasé mitraillé, tire sur tout ce qu’il y a d’autorités temporaires dans cette ville. «Il sont tous pareils, ils ne pensent qu’à eux. Ce sont des faux-types», ajoute-t-il en se détournant du regard, comme pour dire : y en a assez de ce système. De ces politiques très prompts à solliciter le vote des populations en temps électoral, mais qui tournent casaque dès qu’ils sont élus.

Retrouvé dans son bureau à la mairie de Tivaouane à quelques mètres du marché central, en plein centre-ville de la Cité religieuse, El Hadji Malick Diop, maire de la ville, semble connaître par cœur les maux dont souffre sa…jeunesse. Mais, il estime qu’à l’impossible nul n’est tenu. «Nous faisons tout ce que nous pouvons pour assister les populations, surtout la question de l’emploi des jeunes, jure l’édile de la ville. Nous avons beaucoup de projet pour l’emploi des jeunes, mais souvent on bute sur des problèmes administratifs qui sont au-dessus de nos compétences. Ensuite, les mairies n’ont pas assez de moyens pour régler ce problème totalement. C’est un problème national et tous les Présidents qui se sont succédé à la tête du pied ont créé des structures pour prendre la question à bras le corps, mais c’est difficile», répond le maire de la ville.

Très élégant dans sa tunique marron clair, les yeux cachés derrière des lunettes correctrices, il ajoute : «Tivaouane ne dispose que de deux usines où les jeunes tentent leur chance. Et le plus souvent, ces jeunes préfèrent s’exiler vers d’autres cieux plus cléments. Mais, on doit faire passer une loi à l’Assemblée nationale pour retenir les jeunes et toutes les compétences dans leur terroir. On doit promouvoir une loi dont la quintessence serait à compétence égale, préférence locale. Cela veut dire que les Ics et les Mdl ne prendront ailleurs que des ressources qu’ils ne trouveront pas à Tivaouane. Nous voulons tendre vers ce qu’on appelle la responsabilité sociale de l’entreprise qui doit être un contenu légal et législatif. Toute entreprise implantée dans une localité se doit, outre de réaliser des bénéfices, de partager ses dividendes avec la population à travers la construction d’infrastructures sociales, économiques à mettre forcément dans la localité.» L’exposé est pertinent, mais ne semble pas convaincre tous les jeunes qui sont obligés de jouer leur avenir sur les motos Jakarta. Et à l’évocation des autorités, ils refusent de mettre la pédale douce. Il fonce directe sur la mairie, tête baissée.

Un avenir en roue libre

Rond-point Fogny, à côté de la grande mosquée de Tivaouane. Confortablement assis sur le siège de sa moto Jakarta, Abdoul Aziz Ndiaye a la mine des mauvais jours. Visage renfrogné, il guette impatiemment l’arrivée d’un client. Moulé dans un tee-shirt blanc floqué des couleurs du drapeau national du Sénégal (vert, jaune et rouge) avec un pantalon blouson sombre, le jeune homme de 23 ans se soucie de la recette journalière qu’il doit verser à son employeur. Il pète, sec : «La seule activité à Tivaouane qui emploie des jeunes, c’est la conduite des motos Jakarta. Des gens qui ont les moyens ont acheté des motos Jakarta à 400 000 FCfa. Ils les confient à des jeunes qui leur versent chaque jour 2 000 FCfa et le surplus est empoché par ces jeunes. Mais il arrive que l’on reste pendant des heures sans voir un client. Donc, sans avoir de recette journalière.» Son camarade Aboulaye Diop, pédale dans le même sens. Plus mature, Laye, pour les intimes, revient d’une course. Il vient de déposer un client au marché. Et malgré ce petit voyage sous la forte chaleur, il n’a gagné que…200 FCfa. «C’est dérisoire, mais des fois, certains ne nous paient même pas, car dans cette cité, nous sommes tous apparenté(s) et il est parfois gênant de demander à un parent proche où une simple connaissance le prix du transport. Alors qu’à la station, on ne nous offre pas l’essence et que nous ne bénéficions d’aucune assistance de la part des autorités», regrette-t-il.

El Hadji Malick Diop ne recule toujours pas face aux mille et une complaintes des jeunes. Il se défend avec ses arguments qu’il juge solides. L’édile de la ville demande aux populations de remonter un peu le temps et de voir comment ils ont pu acquérir ces motos. «Nous avons facilité l’implantation de ces Jakarta à Tivaouane, ceux qui ont parlé avec vous ne sont pas amnésiques», recadre le maire. «C’est un exploit que la mairie a réalisé en participant à l’implantation des Jakarta dans la ville. Au départ certaines autorités étaient manifestement contre la présence des Jakarta qui étaient symboles d’insécurité et surtout d’agression, car des jeunes, n’étant pas spécifiquement de Tivaouane, pouvaient s’adonner à d’autres pratiques qui ne sont pas conformes au statut religieux de Tivaouane. Nous avons pu sensibiliser ces autorités administratives et religieuses pour qu’elles acceptent ces motos Jakarta. Nous leur avons facilité la tâche pour ceux qui voulaient acquérir des prêts au niveau des structures de micro finances et nous avons eu, pendant six mois, à ne pas imposer des taxes liées à la circulation. Nous avons réuni le Conseil municipal pour fixer un prix social sur la taxe et permettre ainsi à ces jeunes de pouvoir s’épanouir et de disposer du tri quotidien. C’est ce que nous pouvons faire», explique le maire. Avant d’ajouter, toujours pour l’emploi des jeunes : «Un complexe frigorifique va bientôt être fonctionnel à Tivaouane. Il sera implanté à l’entrée de la ville.

Un financement de 600 millions de FCfa, de la part de l’Etat Indien, va nous permettre de mettre en marche le complexe qui va créer des milliers d’emplois pour la jeunesse. La mairie va s’occuper du terrain, de l’installation du courant et de l’eau.» Mais si le maire de la ville semble prendre à bras le corps la question de la jeunesse, un autre secteur souffre de la pathologie endémique du manque de moyens. Tivaouane a la santé malade. Son hôpital presque sous anesthésie et ses salles d’hospitalisation pas encore achevées.

Un hôpital malade de son personnel…

Erigé en établissement public de santé depuis 2010, l’hôpital Abdoul Aziz Sy Dabakh de Tivaouane est la structure médicale la plus en vue dans ce département de la région de Thiès. Une structure qui, pourtant, manque d’équipement, de personnel,… Ce qui pousse la population à se rendre jusqu’à l’hôpital régional de Thiès, distant d’une vingtaine de kilomètres, pour se soigner. Mouhamed Abdalah Guèye, administrateur hospitalier, est le directeur de l’hôpital depuis le 18 juillet 2011. Il diagnostique : «Il y a des spécialités qui manquent au niveau de la structure. Nous sommes obligés de prendre des prestataires. Nous n’avons pas de chirurgien, pas de cardiologue, pas de médecin biologiste et pas de radiologue.» Une terrible assertion qui trouve un écho favorable chez les populations de Tivaouane.

Ndèye Sokhna Sarr habite à côté du stade de Tivaouane. Cette mémé aux allures de libellule dit être une victime des manquements de l’hôpital. «Je suis obligée d’aller jusqu’à Thiès pour faire certaines radios et analyses», regrette-t-elle de toute la force de ses 57 ans enveloppés dans un grand boubou en Khartoum multicolore. Le directeur de l’hôpital en rajoute un coup de bistouri : «Au service d’imagerie médicale, on a une seule table radio, alors qu’on aurait souhaité un appareil de mammographie, un appareil d’endoscopie. De même qu’au niveau du laboratoire, on n’a aucun appareil pour la bactériologie, on se limite à la biologie et à la biochimie. Souvent, on rencontre des cas d’analyse bactériologique. Malheureusement, on n’a pas les équipements nécessaires pour le faire.» Presqu’à genou, le directeur de l’hôpital supplie l’Etat pour une augmentation de la subvention qui est allouée à son centre hospitalier. «On aurait souhaité aussi un accompagnement de l’Etat par rapport aux ressources financières. Pour cette année, nous aurions souhaité une augmentation de l’appui de la subvention d’exploitation pour pouvoir prendre en charge correctement les patients, de même que l’accompagnement en termes d’investissement et d’équipements. Les populations en seraient alors plus satisfaites, par rapport à la prise en charge.» Il permettra aussi à Tivaouane de rehausser son plateau médical en attendant la prise en charge de ses nombreux autres maux qui rythment son quotidien. Et hantent son avenir, malgré son statut de Cité religieuse…

Source : L’Observateur

DEBAT : Que faut-il faire pour le développement socio-économique de la Ville Sainte de Tivaouane ? Répondre en fin d’Article

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